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Page:La Nature, 1873.djvu/283

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LA NATURE.

l’eau, cette substance devrait développer une pression de 470 000 atmosphères, huit à dix fois aussi grande que celle produite par le même volume de poudre. La chaleur dégagée étant de 38 000 000 calories, le travail maximum pourra s’élever à plus de 16 milliards de kilogrammètres, valeur quintuple de celle du travail maximum de la poudre sur le même volume. Ces chiffres colossaux ne sont sans doute jamais atteints dans la pratique, surtout à cause des phénomènes de dissociation ; mais il suffit qu’on en approche pour expliquer pourquoi les travaux et surtout les pressions développées par la nitro-glycérine surpassent les effets produits par toutes les autres matières explosibles usitées dans l’industrie. Les rapports que les chiffres signalent entre la nitro-glycérine et la poudre, par exemple, s’accordent assez bien avec les résultats empiriques observés dans l’exploitation des mines[1]. »

On conçoit, d’après ces faits, quels peuvent être les ressources que la nitro-glycérine met entre les mains de l’industrie dans le travail des mines, dans la perforation des tunnels, etc., mais malheureusement ce capricieux agent détone parfois, comme nous l’avons vu par les accidents cités plus haut, sous l’influence d’un choc insignifiant. Une caisse de nitro-glycérine est posée lourdement sur le sol ; il n’en faut peut-être pas davantage pour déterminer l’explosion de la terrible substance. Aujourd’hui la nitro-glycérine ne s’emploie plus guère qu’à l’état de dynamite.

La dynamite, dont le nom vient du grec (δύναμις, force, puissance), est un mélange mécanique de nitro-glycérine et de silice poreuse. Cette silice constitue par la porphyrisation une poudre blanche qui peut absorber par le mélange jusqu’à 75 pour 100 de nitro-glycérine : « L’absorption de la nitro-glycérine dans les grains de silice, dit M. Barbe, auteur d’un remarquable mémoire sur la dynamite, place le liquide dans les interstices d’une substance poreuse susceptible de mobilité et ne transmettant pas les chocs même les plus violents. Les petits canaux de cette silice forment de petits réservoirs d’huile explosive dans lesquels le liquide n’est maintenu que par l’action de capillarité. Les chocs violents appliqués à de grandes masses de dynamite produisent une compression des molécules, leur déplacement, peut-être même l’écrasement partiel de quelques vaisseaux infiniment petits, mais les particules de la masse de nitro-glycérine elle-même ne reçoivent pas le choc nécessaire à leur explosion. Ces considérations ont été entièrement confirmées par la pratique. Le mélange de la nitro-glycérine et de la silice s’effectue très-simplement. La porosité de la silice assure une répartition uniforme. »

Il existe un grand nombre d’autres substances pulvérulentes propres à servir d’absorbant de la nitro-glycérine. Le kaolin, le gypse, et surtout le sucre en poudre, donnent de bons résultats d’après les travaux de MM. Ch. Girard, Millot et Vogt. D’après les travaux de M. Paul Champion, le plâtre peut absorber jusqu’à 50 pour 100 de nitro-glycérine, le carbonate de magnésie 75 pour 100. Ce dernier chimiste utilisait pendant le siège de Paris une dynamite formée de cendres de boghead (résidu de la fabrication du gaz riche d’éclairage) mélangées à 55 pour 100 de leur poids de nitro-glycérine.

La dynamite offre l’aspect d’une matière pulvérulente ; elle est généralement formée, quand elle est bien préparée, de 64 à 70 pour 100 de nitro-glycérine et, de 36 à 40 pour 100 de matière pulvérulente. La dynamite à 60 pour 100, bien fabriquée, soumise au choc du marteau sur une enclume, ne détone pas comme la nitro-glycérine. Si la température s’élève à 40 ou 50 degrés centésimaux, l’explosion a lieu. Elle se produit encore, mais partiellement, sans s’étendre aux parties avoisinantes si on la frappe violemment quand elle est étendue en couche très-mince. Nous ne décrirons pas les expériences qui ont été faites par de nombreux expérimentateurs sur l’action du choc sur la dynamite, nous nous bornerons à résumer ces travaux divers, en disant avec MM. Bolley, Kundt et Pestalozzi : « On peut faire tomber d’une grande hauteur des caisses remplies de dynamite sans qu’il y ait explosion. » Cette substance détonante bien emballée peut donc être presque impunément transportée ; cependant quand elle est à l’état libre et qu’elle est soumise à un choc violent, produit entre deux corps durs, fer contre fer, par exemple, elle ne manque pas de se décomposer.

Les derniers observateurs que nous venons de citer ont étudié l’action de la chaleur sur la dynamite. Voici ce qu’ils disent à ce sujet : « On place une cartouche de dynamite dans un étui de fer blanc ouvert à une extrémité. Jetée dans le feu, cette dynamite brûle sans faire explosion. Après avoir mis de la dynamite dans le même tube, on le ferma avec un bouchon métallique à vis et on le plaça de nouveau dans un feu ardent. On eut bientôt une forte détonation, et les charbons furent dispersés de tous côtés. De ces expériences on peut conclure que la dynamite à nu ou sous une enveloppe présentant une faible résistance, ne peut faire explosion sous l’action du feu le plus intense, et qu’au contraire, dans les mêmes circonstances, elle peut produire une explosion considérable quand elle est enfermée dans une enveloppe de quelque résistance. »

L’emploi de la dynamite dans l’industrie a acquis depuis peu une importance considérable : quand on veut se servir de cette substance explosible, on la fait détoner en enflammant une amorce au fulminate de mercure mélangé de nitrate de potasse (salpêtre). La cartouche de dynamite peut être munie d’une mèche analogue à celle que l’on utilise depuis longtemps dans les mines pour l’explosion de la poudre. Mais il est très-avantageux, dans un grand nombre de cas, de faire partir la dynamite à distance à l’aide

  1. Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. LXXI, 1870.