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Page:La Nature, 1873.djvu/30

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LA NATURE.

pent avec leurs antennes la surface qu’ils parcourent, et sur laquelle ils s’avancent à la manière d’un aveugle, qui se guiderait avec deux bâtons. Cette démarche singulière s’explique par l’état rudimentaire de leurs yeux, réduits à de simples taches pigmentaires, de couleur rouge.

Les antennes (fig. 1, 2) sont formées de quatre articles, dont le dernier plus long et plus gros est taillé en bec de plume. La troncature oblique porte une sorte de chaton, que plusieurs auteurs considèrent comme un organe de sens, sans pouvoir toutefois affirmer s’il est au service du tact, de l’odorat ou de l’ouïe.

Le phylloxéra se fixe toujours en un point où la sève est abondante et d’un accès facile, soit sur les jeunes radicelles dont les tendres tissus peuvent être aisément perforés, soit sur des parties souterraines moins récentes, mais alors dans les fissures de l’écorce d’où sa trompe peut plonger dans les cellules, gorgées de sucs, de la zone génératrice.

Le suçoir du phylloxéra (fig. 1, 1 et fig. 3) rappelle comme celui des autres hémiptères (punaises, réduves, hydromètres, nèpes, ranatres, notonectes, cigales, fulgores, pucerons, cochenilles, kermès), la disposition du trocart des chirurgiens. Il consiste en un tube formé de trois articles, placés bout à bout et logeant dans son intérieur, à la manière d’un étui, trois aiguilles protractiles. Les deux aiguilles latérales ne sont pas autre chose que des mandibules transformées, et l’aiguille médiane, manifestement plus large, représente les deux mâchoires également transformées toujours distinctes chez les autres hémiptères, mais soudées en une seule tige effilée chez le suceur de la vigne.

Les pattes (fig. 1, 3) sont armées d’un ongle, qui permet au phylloxéra de se cramponner aux fines aspérités de l’écorce, et les poils qui garnissent ces pattes se font remarquer par leur extrémité renflée, caractère qui avait conduit le Dr Shimer, de Philadelphie, à donner à notre insecte le nom de dactylosphœra.

Après les premières mues, six rangées de tubercules mousses apparaissent sur la région dorsale et sur le rebord ventral des anneaux. Le corps se gonfle peu à peu et prend une forme de plus en plus ovoïde, (fig. 2, 1). Tout annonce que la ponte est proche. Bientôt, en effet, l’abdomen s’allonge, le corps prend une forme comparable à celle d’une toupie, les derniers anneaux se déboîtent comme les tuyaux d’une lorgnette : enfin le premier œuf apparaît et sort d’une manière graduelle.

La pondeuse a environ trois quarts de millimètres de longueur sur un peu plus d’un demi-millimètre de largeur. Elle se tient étroitement appliquée à la racine par sa face ventrale, et, fixée toujours à la même place, le suçoir implanté dans les tissus superficiels, absorbant et pondant à la fois, sans repos ni trêve.

MM. Planchon et Lichtenstein ont calculé que le nombre d’individus, qui ont pour point d’origine une seule femelle pondant au mois de mars, peut s’élever à vingt-cinq milliards dans l’espace d’une seule année, de mars à octobre.

La progression géométrique, si rapidement croissante, formée par les nombres d’insectes destructeurs issus des générations successives, explique comment des ravages à peine perceptibles au commencement de la belle saison peuvent se développer au point de devenir tout à fait désastreux à l’automne.

Lorsque, par suite de l’accumulation des individus, le phylloxéra ne trouve plus à se nourrir sur les racines d’une souche épuisée par ses succions réitérées, il se met aussitôt à la recherche d’une nouvelle proie. Il suit alors les rugosités et les fissures de l’écorce, jusqu’à ce qu’il ait rencontré, soit une crevasse du terrain, soit une partie suffisamment meuble, capable de le conduire sur une souche voisine non encore attaquée ou simplement moins fréquentée.

Mais à cause de son extrême faiblesse, il ne peut se frayer un passage à travers une terre quelque peu agglomérée. Lorsqu’un obstacle provenant, soit du trop grand tassement du terrain, soit de tout autre circonstance, s’oppose à ce que l’insecte en quête de nourriture, continue ses pérégrinations souterraines, celui-ci se décide, à monter à la surface du sol et à opérer ses migrations à ciel ouvert.

Cette marche en plein air et en pleine lumière, quelle qu’en soit, d’ailleurs, la cause déterminante, a été parfaitement observée par MM. Faucon, viticulteur à Graveson (Bouches-du-Rhône) et Bazille, président de la Société d’agriculture de l’Hérault. Il est certain qu’aux heures chaudes de la journée, les phylloxeras courent sur le sol d’un cep à l’autre, comme autant de petites fourmis. Lorsqu’ils ont atteint une souche dont l’état leur plaît, ils s’engagent dans les nombreuses dépressions de la surface de l’écorce et guidées par elles, parviennent aisément jusqu’aux extrémités succulentes des racines.

Les phylloxéras de la dernière génération (fin octobre), ne sont destinés à pondre qu’au retour de la belle saison, et sont condamnés à passer l’hiver en léthargie. D’ailleurs, dans l’état de suspension où se trouve alors la végétation de la vigne, la voracité du parasite trouverait peu à se satisfaire. Les phylloxéras commencent à perdre leur activité dès l’apparition des premiers froids, ils se blottissent dans les cavités de l’écorce des parties souterraines, et si on les observe vers le milieu ou la fin de novembre, on les trouve dans un état complet d’immobilité qui est dû, non pas à un état maladif, mais bien à un véritable sommeil hibernal. Leur couleur jaune a disparu pour faire place à une couleur brune qui les rend très-difficiles à distinguer des parties sous-jacentes ou environnantes. Rien alors ne les différencie des individus morts, si ce n’est qu’ils ne se dessèchent pas et ne se creusent pas en cuiller comme ceux-ci, lorsqu’on les expose au contact de l’air.

Au commencement de mars, l’engourdissement