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Page:La Nature, 1873.djvu/380

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LA NATURE.

supériorité. Il est plus facile de construire un grand miroir qu’une grande lentille, mais certainement, à égalité de diamètre, une bonne lentille est préférable à un bon miroir.

Les plus grandes lunettes qui aient jamais existé ont été construites avant l’invention des verres achromatiques, et cela à l’Observatoire de Paris, il y a deux siècles. Pour éviter les couleurs diffuses qui se formaient sur le disque de l’astre observé, il fallait de faibles courbures et des distances focales qui tiennent du fantastique. L’objectif était séparé de l’oculaire par une distance de plusieurs centaines de pieds, sans tube naturellement. Il fallait chercher les astres en tenant l’oculaire à la main.

C’est à propos de ces lunettes fantastiques qu’éclata en 1665, entre Auzout et Hooke, une grande querelle au sujet de la lunette monstre de 10 000 pieds de longueur, que ce dernier voulait construire dans le but d’apercevoir des animaux dans la lune.

Hooke trouvait la chose si réalisable, qu’il écrivait à Auzout (Mém. de l’Acad. des Sciences, t. VII, p. 79), qu’en supposant les mandrins bien faits et d’une bonne longueur, et les verres travaillés et polis avec un grand soin, il ne voyait aucune raison qui empêchât de faire aussi facilement une lunette de 1 000 et de 10 000 pieds qu’une de 10.

Après avoir réfuté toutes les théories émises par l’astronome anglais sur la fabrication de sa lunette incomparable, Auzout répondait une dernière fois : « Je vois bien que M. Hooke veut, à quelque prix que ce soit, découvrir des animaux dans la lune, mais je crois qu’il doit se contenter s’il peut y découvrir quelque ville ou quelque château, car on sera assuré, après cela, qu’il y aura des animaux ; et si les parties obscures que nous y voyons sont des mers, et qu’on fasse des flottes en cette planète‑là pour se battre, comme l’on fait ici, ce serait une chose assez divertissante de voir quelque jour une flotte ou deux, de cent ou six-vingts vaisseaux chacune, voguer sur leurs mers, comme les habitants de la Lune en pourraient voir présentement sur les nôtres. »

La plus colossale des lunettes qui aient été employées autrefois fut celle qu’Auzout lui-même avait travaillée ; elle avait 300 pieds de longueur focale, et cependant elle ne grossissait que six cents fois. C’est avec un instrument de cette sorte que Dominique Cassini fit la découverte de plusieurs satellites de Saturne. Dans le but d’en tirer le parti le plus utile, il avait fait monter dans le jardin de l’Observatoire de Paris de grands mâts et tout un énorme échafaudage en charpente qui avait servi à la construction de la machine de Marly. Cette appareil était destiné à porter les objectifs, et l’observateur devait pouvoir se placer, son oculaire à la main, dans toutes les positions, à une distance convenable de l’image aérienne.

La découverte des verres achromatiques permit de construire des objectifs formés de deux lentilles de verre juxtaposées, complémentaires l’une de l’autre, qui réfractent les rayons de lumière sans les colorer. La première de ces lunettes est biconvexe, et formée du verre ordinaire de nos glaces (crown‑glass) ; la seconde est plano-concave et formée du cristal dans lequel entre une quantité notable de plomb (flint‑glass). On peut dès lors leur donner une grande courbure, qui rapproche le foyer, et évite ces longueurs désespérantes. Une lunette d’un objectif de 30 centimètres, dont le grossissement normal est de 600 fois, n’a plus maintenant que 5 mètres environ de distance focale et de longueur.

La difficulté de construire des lentilles de verre pures et transparentes, exemptes de stries, qui n’absorbent que peu de lumière et ne colorent pas les rayons en les réfractant a été le grand obstacle qui a retardé la construction des grandes lunettes. Pour donner un exemple de la rareté des instruments d’optique au commencement de notre siècle, je rappellerai que nos lunettes astronomiques les plus répandues aujourd’hui, celles de 1m,60 de longueur, dont l’objectif a 4 pouces ou 11 centimètres de diamètre, que tout astronome a maintenant chez lui pour son usage quotidien, n’existaient pas alors en France. En 1804, Napoléon, projetant de se rendre au camp de Boulogne, fit venir Delambre et lui demanda de lui procurer une excellente lunette. « Sire, répondit l’astronome, nous pouvons vous donner la lunette de Dollond, qui est dans nos cabinets, et Votre Majesté ferait une chose agréable aux astronomes si elle voulait nous accorder en échange une excellente lunette de 4 pouces, que vient de construire M. Lerebours. – Elle est donc meilleure ? – Oui, sire. – Alors, je la prends pour moi. » Cet objectif achromatique de 11 cent. est le premier qui ait été fait en France.

Grâce à la persévérance de Guinaud des Brenets, ouvrier du canton de Neufchâtel, de Frauenhofer, opticien bavarois, de Lerebours et de Cauchoix, opticiens français, de Mertz, de Munich, on ne tarda pas à dépasser cette dimension. Secrétan, à Paris, établit ses ateliers de construction sur une base nouvelle, fondée sur les derniers progrès de l’optique, et donna à la France les plus remarquables instruments. Son confrère Eichens s’est placé comme lui à la tête des opticiens français. Voici, par ordre chronologique, quelles sont les grandes lunettes astronomiques qui ont été successivement installées dans les principaux sanctuaires où l’on étudie les cieux, loin des bruits et des tracas du monde vulgaire.

En 1816, Lerebours termina une lunette de 19 cent. de diamètre, qui fut achetée par le bureau des longitudes. C’était à cette époque le plus grand et le plus parfait réfracteur qui existât alors dans le monde. Les Anglais n’ont atteint cette même dimension qu’en 1827, et Frauenhofer n’a terminé l’instrument de Dorpat qu’en 1824. On aura une idée de la persévérance et des obstacles que rencontrent les opticiens dans la construction des objectifs à large ouverture, si l’on remarque que les difficultés croissent comme le cube du diamètre de l’objectif ; autrement dit, un objectif de 20 centimètres est huit fois plus