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Page:La Nature, 1873.djvu/63

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LA NATURE.

matin. Le temps est calme, le vent chasse devant lui une nuée de brouillards opalins, de vapeurs indécises qui ne sont pas encore métamorphosées en nuages. Le soleil se lève à 4 heures 15 minutes, l’heureux observateur voit son ombre colossale se découper sur le massif des brumes, il porte sa main à son chapeau, et la grande silhouette fait le même geste. Plus tard, en 1862, un peintre français M. Stroobant, aperçut nettement le spectre de Brocken ; l’ombre du voyageur se dessina sur les nuages, ainsi que celle d’une tour du voisinage. Ces silhouettes étaient vagues, leurs contours mal définis, mais elles apparaissaient nettement entourées d’un contour lumineux formé des sept couleurs de l’arc-en-ciel.

Le cercle d’Ulloa.

Au siècle dernier, Bouguer et Ulloa, envoyés à l’équateur avec la Condamine pour mesurer le degré terrestre, observèrent des phénomènes du même ordre pendant leur séjour sur le Pichincha. Ulloa, qui a donné son nom à ces effets de lumière, a décrit avec précision l’apparition, devenue classique, qui se manifesta sous ses yeux. « Je me trouvais, dit-il, au point du jour sur le Pambamarca, avec six compagnons de voyage ; le sommet de la montagne était entièrement couvert de nuages épais ; le soleil, en se levant, dissipa ces nuages ; il ne resta à leur place que des vapeurs légères qu’il était presque impossible de distinguer. Tout à coup, au côté opposé à celui où se levait le soleil, chacun des voyageurs aperçut, à une douzaine de toises de la place qu’il occupait, son image réfléchie dans l’air comme dans un miroir ; l’image était au centre de trois arcs-en-ciel nuancés de diverses couleurs et entourés à une certaine distance par un quatrième arc d’une seule couleur. La couleur la plus extérieure de chaque arc était incarnat ou rouge ; la nuance voisine était orangée ; la troisième était jaune, la quatrième paille, la dernière verte. Tous ces arcs étaient perpendiculaires à l’horizon ; ils se mouvaient et suivaient dans toutes les directions la personne dont ils enveloppaient l’image comme une gloire. Ce qu’il y avait de plus remarquable, c’est que, bien que les sept voyageurs fussent réunis en un seul groupe, chacun d’eux ne voyait le phénomène que relativement à lui, et était disposé à nier qu’il fut répété pour les autres. »

Kaemtz sur la cime de quelques montagnes alpestres, Scoresby dans les régions polaires, Ramond dans les Pyrénées, de Saussure sur le mont Blanc, M. Boussingault dans les Cordillères, ont confirmé depuis ces récits intéressants par leurs propres observations. Mais ces beaux phénomènes se manifestent bien plus souvent aux yeux des aéronautes quand ils sillonnent une atmosphère chargée de nuages. MM. Glaisher, Flammarion et de Fonvielle les ont décrits succinctement depuis quelques années. Nous avons en l’an dernier, et cette année même, la bonne fortune d’observer des ombres aérostatiques ceintes d’auréoles des plus variées : nous croyons intéressant de les décrire.

C’est dans le cours de notre dix-huitième ascension aérostatique exécutée le 8 juin 1872, avec M. le contre-amiral baron Roussin, que nous eûmes le bonheur de voir ces beaux phénomènes apparaître à nos yeux dans leur magnificence.

À 5 heures 35 minutes du soir, l’aérostat avait dépassé les beaux cumulus blancs qui s’étendaient horizontalement dans l’atmosphère à 1 900 mètres d’altitude. Le soleil était ardent, et la dilatation du gaz déterminait notre ascension vers des régions plus élevées, que je ne pouvais atteindre sans danger, n’ayant pour la descente qu’une faible provision de lest. Je donne quelques coups de soupape, pour revenir à des niveaux inférieurs. À ce moment, nous planons au-dessus d’un vaste nuage ; le soleil y projette l’ombre assez confuse de l’aérostat, qui nous apparaît entourée d’une auréole aux sept couleurs de l’arc-en-ciel. À peine avons-nous le temps de considérer ce premier phénomène, que nous descendons de 50 mètres environ. Nous passons alors tout à côté du cumulus qui s’étend près de notre nacelle et forme un écran d’une blancheur éblouissante, dont la hauteur n’a certainement pas moins de 70 à 80 mètres.

L’ombre du ballon s’y découpe, cette fois en une grande tache noire, et s’y projette à peu près eu vraie grandeur. Les moindres détails de la nacelle, l’ancre, les cordages, sont dessinés avec la netteté des ombres chinoises. Nos silhouettes ressortent avec régularité sur le fond argenté du nuage ; nous levons les bras, et nos Sosies lèvent les bras. L’ombre de l’aérostat est entourée d’une auréole elliptique assez pâle, mais où les sept couleurs du spectre apparaissent visiblement, en zones concentriques. La température était de 14 degrés centésimaux environ ; l’altitude, de 1 900 mètres. Le ciel était très-pur et le soleil très-vif. Le nuage sur la paroi verticale duquel l’apparition s’est produite, avait un volume considérable et ressemblait à un grand bloc de neige en pleine lumière. Nous étions nous-mêmes entourés d’une certaine nébulosité, car la