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Page:La Revue blanche, t10, 1896.djvu/255

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Bayreuth et l’homosexualité


Sous ce titre, M. Oscar Panizza écrit, dans Die Gesellschaft, XI Jahrgang, Heft I (Verlag v. Wilhelm Friedrich, Leipzig).

« Dans un journal allemand fort répandu, on pouvait, récemment, lire l’annonce suivante : On demande jeune bicycliste protestant, très bonne famille, pour faire, avec un compagnon (étranger), belle excursion Tyrol. Conditions requises : extérieur agréable, manières distinguées, caractère enthousiaste. Écrire Numa, poste restante, Bayreuth. Joindre photographie qui sera retournée.

« Le significatif de cette insertion, c’est que l’éphèbe qui cherche à nouer connaissance avec un autre adolescent « enthousiaste » se fait adresser ses lettres au pseudonyme Numa, celui dont furent signés bon nombre d’ouvrages écrits par le défenseur allemand de l’amour-pédérastie, C.-H. Ulrichs ; l’intention de l’annonce apparaît donc nettement ; elle acquiert une saveur particulière grâce au mot Bayreuth. Or, au moment où parut cet entrefilet, on allait, à Wagneropolis, jouer Parsifal. Donc…

« Cette conclusion, que Parsifal pût être un régal de pédérastes, me révolta tout d’abord, tant l’œuvre de Wagner est noble et pleine des plus hautes aspirations. Par malheur, il faut bien reconnaître que la noblesse des sentiments, la discussion philosophique des grands problèmes de l’humanité, la compassion, la vision sentimentale de l’univers sont précisément des traits caractéristiques des abstentionnistes de la race psycho-érotique. Parsifal, le chaste héros de l’œuvre dernière conçue par Richard Wagner, ne connaît pas l’impulsion sensuelle ; l’inclination amoureuse lui manque. Du caractère historico-poétique de Parsifal tel que l’avait conçu Wolfram von Eschenbach, Wagner vieillissant a effacé tous les épisodes ayant trait à l’amour, si bien que le développement du héros dans le drame est purement psychique et supra-sensuel. Les tentatives de séduction des filles-fleurs dans le jardin enchanté de Klingsor le laissent indifférent. Cela suffit pour nous renseigner. Il est par le fait, nolens volens, porté aux relations masculines. Sa destinée est de délivrer d’autres… hommes. La source de cette passion libératrice est la compassion, la pitié, toutes qualités qualifiées de « pures » ou de « très pures », c’est-à-dire sans mélange sensuel, bref, toute la gamme sublime de sentiments que nous trouvons immanquablement dans les affections sexuelles morbides.

« Ne vous récriez pas, wagnériens, et examinez la chose de près. Dans Parsifal, le héros et les chevaliers du Graal sont conçus de façon absolument unisexuelle. Ils sont frères. De plus, Parsifal délivre et guérit un vieillard (Amfortas) dégoûté du monde. C’est par son éloignement pour les femmes que le jeune homme possède cette puissance libératrice (on sait que les partisans de l’homosexualité se sentent offensés si leurs jeunes protégés viennent à se divertir avec des femmes et qu’il n’est pas pour eux de plus sanglant affront). Parsifal délivre donc Amfortas de ses souffrances et avec lui toute la confrérie du Graal : par là, il se délivre enfin lui-même des liens sensuels du monde et devient roi du Graal, ,,Erlœsung dem Erlœser“ !

« Inutile d’insister davantage. Il est certain que Wagner, dans cette œuvre de sa vieillesse, a caractérisé ses relations avec l’humanité comme celles du jeune Parsifal avec la chevalerie du Graal. Les wagnériens en font autant. Le génial compositeur avec l’âge était devenu pédéraste (intellectuellement parlant), de même que Schopenhauer dont on connaît le trop fameux appendice à la Métaphysique de l’amour sexuel.

« Pour éviter tout malentendu, j’insiste sur ce point que cette tendance doit être considérée ici d’un point de vue purement psychologique