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Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/266

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nouvelle de la reddition de Metz avaient entendu les cris déchirants de la foule s’engouffrant sous le porche de l’Hôtel de Ville ; à tous ceux qu’avaient stupéfiés l’issue de l’affaire de Champigny, l’impossibilité du passage de la Marne ; les ponts trop courts, le plan de campagne déposé chez un notaire, et tout le ridicule mêlé à cette tragédie ; à tous ceux qui avaient partagé les craintes, les joies, les émotions de cette ville armée et prête au sacrifice, le jour occupée à suivre des yeux dans le ciel gris de l’hiver, le voyage incertain des ballons ou le vol des pigeons rayant la brume, le soir à regarder le cercle des feux ennemis qui se rétrécissait autour d’elle ; à tous ceux qui avaient fréquenté ces multitudes héroïques, grisées plus encore par la rhétorique des proclamations civiles et militaires que par l’alcool qu’elles étaient obligées d’absorber pour soutenir leurs forces ; à tous ceux qui avaient senti combien les souffrances physiques exaspèrent les souffrances morales : le froid dans les maisons comme dans la rue ; la faim inapaisée, le dégoût des nourritures immondes et des boissons frelatées ; à tous ceux qui avaient éprouvé ces chocs successifs : la capitulation de nos troupes ; l’investissement, la catastrophe de Bazaine et le tressaillement de joie de Coulmiers ; à tous ceux qui avaient habité cette immense capitale tout à coup séparée du monde entier, devenue une sorte d’île inabordable, pleine de nuit, de mystère et de terreur où l’on n’entendait plus que le bruit des régiments en marche et que le Qui vive ! des sentinelles, où, le soir, des fenêtres s’éclairaient pour des signaux inconnus ; où l’on devinait des espions circulant dans l’ombre ; où les mourants râlaient dans les foyers de théâtre et où, de temps en temps un obus crevait un toit ; à tous ceux qui avaient espéré qu’un jour viendrait où l’armée parisienne se déploierait dans les plaines pour la lutte dernière et définitive ; qui avaient attendu, voulu, rêvé ce jour-là ; qui avaient cru que l’ennemi serait chassé ou que Paris serait anéanti et disparaîtrait dans un écroulement suprême comme Ninive ou Babylone ; à tous ceux, enfin, qui avaient prévu le soulèvement de surprise, de rage, d’horreur que provoquerait la nouvelle, brusquement donnée, de la paix conclue sans combat, sans que l’effort fût tenté, sans que les heures de misère eussent la compensation d’une tuerie glorieuse ; sans que les fureurs accumulées lentement pussent éclater. Et cela, avec la honte indicible de l’Empereur Allemand passant sous l’Arc de Triomphe à la tête de ses soldats.

La Commune fut faite des désespérances, des déceptions et des colères du siège. Si, plus tard, des revendications sociales s’y mêlèrent, ce fut accessoirement et, pour ainsi dire par déviation. L’origine du mouvement est là et aussi dans la crainte de la Monarchie qui nous avait valu l’invasion et la défaite et qu’on soupçonnait l’Assemblée Nationale de vouloir rétablir. Paris révolté, il fallut un drapeau et une doctrine. La Commune en eut plusieurs ; elle les eut toutes. Elle était composée d’homme fort différents ; d’éducation et d’idées fort différentes ; adversaires ou ennemis les uns des autres et que seul le hasard d’une explosion pouvait jeter ensemble