Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/363

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manque un autre, d’autres… Non, il ne manque rien. Cela ne se voit pas. Peut-être n’y a-t-il de moins que, dans ton cœur, l’espoir que tout va changer et qu’on va être heureux…

Insensé ! Mais regarde donc… Que peux-tu faire ? Rien ! dans… ça, cette ville, qui n’est qu’un coin du monde, dans ce qu’est un instant dans l’infini des siècles…

La ville, à toi tout seul, dans une seule journée… élargis ton geste, ouvre les bras, il faut l’étreindre… il faut soulever toute la misère qui pèse dessus.

À toi tout seul…

La voix qui t’appelait se moquait dont ? Tu as cru cela, puisque tu en as écouté d’autres. Les mots d’amour, les mots qu’un enfant balbutie, détournent les enchantements. Mais tout s’est tu soudain. Les esprits, les fantômes, les êtres de sorcellerie, et les espoirs d’un monde qui serait un peu meilleur, se réveillent dans l’ombre comme si ce qu’on nomme « Silence » n’était que le tumulte formidable de leurs cris.

À nous ! Fais ce que tu peux pour nous, toi qui es libre. Avant de rentrer à la mort dont tu sortis, repasse par la jeunesse, où tu laissas des rêves. Réalises-en un peu, le peu que tu pourras…

Le peu que je pourrai… Ce peu sans doute est rien.

Si je ne faisais rien ?

La colère brûle, s’use, se consume. Le vide s’est fait autour. Le feu ne se communique pas. Il n’y a pas d’incendie. Rien qu’un feu triste, qui se meurt.

Ce qu’un homme peut faire ? Mais… du mal, et encore pas autant qu’on voudrait !

Un peu de bien aussi, pourtant. Très peu, mais sûr. De la joie répandue, une douleur de moins, ça se voit, on est certain, et cela vous fait aussi du bien, à vous.

Que vas-tu faire ? Nul bien ne justifie nul mal. Pour soulager le poids trop lourd de nos misères, tu jettes une épée de l’autre côté de la balance. L’épée l’emporte, c’est vrai. L’autre poids n’est pas moins lourd. Acte d’homme, la justice aggrave l’acte d’homme. Tu frappes, comme des juges te frapperont demain. Le mal ne compense pas le mal, il s’y ajoute. Un crime puni, cela fait deux crimes. Un exemple ! Exemple de tuer qui sera suivi.

À quoi bon te venger ! Même si tu réussis, si le signal que tu donnes sauve vraiment le monde — toi, tu ne le verras pas. Peut-être sèmes-tu le bonheur, mais tu le sèmes, songes-y, sans ce sillon : ta tombe.

Beau militaire, ce sera pour la gloire seulement.


Le livre ici se ferme et le héros va mourir…

Mourir ? À moins, pourtant… — S’il avait réussi ?