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Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/130

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En Espagne


L’Espagne est, à l’heure actuelle, avec la Turquie et la Sainte Russie, le pays le plus arriéré de l’Europe. Encore la Russie a-t-elle en sa faveur l’avenir.

En Espagne comme en Turquie, au contraire, on ressent une impression de je ne sais quoi de caduc et d’irrémissiblement condamné à mort : ici la pourriture romano-catholique, là le mélange de corruption et de férocité asiatiques greffé sur la corruption et la férocité byzantines. C’est ce qui a fait dire à un écrivain Catalan et surtout catalaniste, d’une originalité réelle, M. J. Brossa, que, si l’Europe voulait se rénover, elle devait détruire deux portes : la Sublime-Porte et la Puerta del Sol[1].

À deux reprises, dans ces derniers temps, il me fut donné de voir l’Espagne, et, grâce à des transformations renouvelées de Protée, l’Espagne que tous ne voient pas : éléments révolutionnaires, d’une part, éléments politiques ou même officiels de l’autre. C’est donc, en connaissance de cause, que je vais m’efforcer de compléter l’article publié dans cette même revue, il y a deux mois, sous ce titre : la Débâcle d’une monarchie.

Ce ne fut que tout à fait malgré elle que la monarchie espagnole s’engagea dans la guerre contre les États-Unis. Elle sentait, en effet, qu’à moins d’une problématique intervention des puissances, elle ne pouvait y trouver que défaite et effondrement. L’effort constant de Canovas avait été d’éviter ce conflit dont il prévoyait parfaitement l’issue ; mais son successeur Sagasta, ministre libéral, sinon de fait tout au moins d’étiquette, était obligé de gouverner avec l’opinion publique, ou plutôt avec ceux qui prétendaient la représenter. Beaucoup moins préoccupés, malgré leurs faux semblants patriotiques, de l’intégrité nationale, que de leur avènement au pouvoir, qu’ils entrevoyaient possible à la suite d’un ébranlement général, républicains et carlistes exigèrent que le gouvernement fît respecter les droits de l’Espagne.

Ces droits c’étaient ceux de pressurer à outrance les Cubains, de tenir courbés les Philippins sous la férule des congrégations, de livrer les uns et les autres, lorsque, à bout de patience, ils se soulevaient, aux répressions féroces des Weyler et des Polavieja.

Seul, des hommes de la démocratie espagnole, Pi y Margall eut,

  1. Puerta del sol ou « Porte du soleil », la principale place publique de Madrid.