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Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/467

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Elle venait de comprendre que jusqu’au moment où elle avait parlé de son départ, on n’y avait pas encore songé. Cette cause d’inquiétude disparaissant à souhait, certaine autre crainte se dissipa : les façons amicales d’Éléonore, son empressement à la retenir, l’air enchanté de Henry quand on lui dit que la visiteuse ne songeait pas à s’en aller, tout cela disait assez éloquemment à Catherine que sa présence leur était chère. Elle n’avait plus de désirs que ce qu’il en faut pour assaisonner le bonheur. Qu’elle fût aimée de Henry, elle n’en doutait presque jamais ; le père et la sœur la chérissaient aussi, elle en était sûre, et souhaitaient qu’elle fît partie de la famille. Ses doutes et ses craintes, elle s’y complaisait plutôt qu’elle n’en souffrait : ils ne touchaient plus au profond d’elle-même.

Henry ne put rester à Northanger au service des jeunes filles, comme son père le lui avait enjoint avant de s’absenter. Appelé à Woodston par les exigences de son ministère, il dut quitter Northanger le samedi et pour une couple de jours. Cette nouvelle absence de Henry, maintenant que le général était loin, n’était pas aussi fâcheuse que la première. Elle diminua la gaîté des deux amies et ne la ruina pas. Elles avaient passé la soirée à travailler ensemble en causant affectueusement, et il était onze heures, heure tardive à Northanger, quand elles quittèrent la salle à manger, le jour du départ de Henry. Comme elles montaient à leur chambre, il leur sembla, autant que l’épaisseur des murs permettait de le discerner, qu’une voiture arrivait. Un instant après, la cloche s’ébranlait violemment. La première surprise passée, — qui s’était traduite par : « Bonté divine ! Qui est-ce ? » — Éléonore décida que ce devait être son frère aîné ; il arrivait toujours à l’improviste, sinon d’une façon aussi inopportune. Elle redescendit rapidement, pour lui souhaiter la bienvenue. Catherine gagna sa chambre. Elle s’ingéniait à se tracer un plan, en prévision d’une prochaine rencontre avec le capitaine Tilney. Pour réagir contre l’impression que sa conduite lui avait faite, elle se disait qu’il était trop gentleman pour ne pas éviter tout ce qui eût rendu leurs rapports difficiles. Elle espérait qu’il ne parlerait jamais de Mlle Thorpe, et, en vérité, ce n’était guère à craindre : il devait être trop honteux du rôle qu’il avait joué. Aussi longtemps que ne serait faite nulle mention des incidents de Bath, elle pourrait lui faire bon visage. Qu’Éléonore eût montré tant d’empressement à voir son frère et qu’elle eût tant de choses à lui dire, étant à l’éloge du nouveau venu : une demi-heure s’était écoulée, et Éléonore ne paraissait pas.

Catherine entendit alors son pas dans la galerie. Elle écouta. Tout était redevenu silencieux. À peine s’était-elle convaincue de son erreur qu’un léger bruit à la porte la fit de nouveau attentive : on eût dit que quelqu’un touchait la porte même ; un instant après le bruit se répéta. Catherine tremblait un peu à l’idée qu’on s’approchât avec tant de précautions. Mais, résolue à n’être plus dupe des apparences ou de son imagination, elle alla résolument à la porte et