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Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/470

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— Oh ! le voyage n’est rien, dit Catherine. N’y pensez pas. Et, puisque nous devons nous quitter, que ce soit quelques heures plus tôt ou plus tard… Je serai prête pour sept heures. Vous me ferez appeler.

Éléonore comprit que Catherine souhaitait être seule, et, sentant que prolonger l’entretien ne pourrait être que pénible à l’une et à l’autre, la quitta sur ces mots :

— Je vous verrai demain matin.

Catherine avait le cœur gros ; il fallait qu’elle pleurât. Par affection pour Éléonore et par fierté, elle avait retenu ses larmes. Elles s’échappèrent à torrents. Être renvoyée, et de cette manière, sans qu’on alléguât une raison, sans qu’une excuse vînt tempérer des procédés si brusques, si incivils, si grossiers. Henry absent !… Ne pouvoir même lui dire adieu ! Se retrouveraient-ils jamais ? Et c’était le général Tilney, un homme si courtois, de si bonne naissance et si entiché d’elle jusqu’alors, qui agissait de la sorte. Non moins incompréhensible que pénible et mortifiant ! D’où venait son changement d’attitude ? Comment tout cela finirait-il ? Catherine restait désolément perplexe. Qu’il la fît partir sans se référer le moins du monde à ses dispositions, sans même sauver les apparences en lui laissant choisir le moment du départ ni la façon dont elle devait effectuer le voyage, que, de deux jours, il choisît le plus proche et, de ce jour, l’heure la plus matinale, comme s’il voulait expressément éviter de la voir, n’était-ce pas lui faire intentionnellement un affront ? Elle était bien obligée d’admettre qu’elle eût offensé le général, car, malgré ce qu’avait dit Éléonore, pourquoi agir ainsi envers une personne contre laquelle on n’aurait aucun grief ?

Tristement s’écoula la nuit. Il ne pouvait être question de sommeil ni d’un repos qui pût prétendre au nom du sommeil. C’était en cette même chambre où son imagination l’avait naguère tant tourmentée. Mais la cause de son trouble était maintenant dans la réalité cruelle. Son isolement, l’obscurité de la chambre, l’antiquité de l’abbaye, rien de cela ne provoquait en elle la moindre émotion, et, quoique le vent s’évertuât à des bruits sinistres, Catherine les entendait sans curiosité ni effroi.

Vers six heures, Éléonore entra. Catherine n’avait pas perdu de temps ; elle était presque habillée et sa malle était presque faite. D’abord, elle avait cru que son amie était chargée d’un message conciliatoire. Quoi de plus naturel qu’une colère s’apaisât et fût suivie de regret ? Et elle se demandait dans quelle mesure, après ce qui s’était passé, il convenait qu’elle acceptât des excuses. Mais ni sa clémence ni sa dignité ne furent mises à l’épreuve : Éléonore n’apportait nul message. Elles parlèrent peu, réfugiées au silence meilleur ; à peine quelques phrases banales. Catherine, tout affairée, achevait sa toilette ; Éléonore, avec plus de bonne volonté que d’expérience, luttait contre la malle. Puis elles quittèrent la chambre. Du seuil, Catherine jeta un dernier regard sur ces choses si connues et qu’elle