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Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/475

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essayer de tirer des scandales militaires des conclusions générales. M. Ribot a donc pensé qu’il était meilleur pour le parti modéré de se brouiller un peu avec la droite et de faire alliance avec les radicaux : il semble n’avoir pas été suivi par tous les républicains progressistes de la Chambre ; mais il a sûrement l’appui des groupes républicains du Sénat et il paraît bien que la combinaison Dupuy, Freycinet soit son œuvre. M. Ribot était tout indiqué pour le portefeuille de la justice dans une telle combinaison ; mais il a préféré s’effacer pour assurer le succès de son petit plan. Peut-être aussi y a-t-il dès maintenant des négociations engagées au sujet des candidatures éventuelles à la Présidence de la République. Nous ne tarderons peut-être pas à le savoir, si la Cour de Cassation va jusqu’au bout de son enquête. En attendant, M. Dupuy a eu à la Chambre un succès facile : il a laissé croire aux radicaux qu’il avait changé son fusil d’épaule, et laissé espérer aux modérés qu’il ne tarderait pas à remettre l’arme dans sa position naturelle. Il a parlé de la suprématie du pouvoir civil ; il a concilié le respect dû à l’armée avec le respect dû à la justice, et tout en affirmant sa piété filiale envers l’Université, il a donné aux intellectuels le conseil paternel de s’occuper de leurs affaires. M. Dupuy avait, pour ses sages paroles, été approuvé par la Chambre presque tout entière : seuls les socialistes se sont rappelé qu’ils avaient des raisons de lui refuser leur confiance.

Le président du Conseil a promptement justifié leur attitude. Sommé au Sénat, par un représentant des Kaiserlicks et des Jésuites, de poursuivre Urbain Gohier, l’auteur de l’Armée contre la Nation, il a docilement obéi. De même que M. de Mun avait lancé sur Zola les renégats du cabinet Méline, M. Le Provost de Launay lance les renégats du cabinet Dupuy sur Gohier coupable d’avoir instruit le procès des traîtres sans demander le huis-clos. Le gouvernement de la République, entre les mains des hommes de la Loi scélérate, va venger l’Armée de Condé, l’État-major des faussaires, la bande Esterhazy. M. de Freycinet n’a pas été moins envers l’État-major que M. Dupuy : il a déclaré que les hommes frappés d’insolation aux grandes manœuvres étaient morts victimes de leur amour-propre et que ce sentiment fortifiait l’armée. Décidément nos ministres pensent surtout au prochain Congrès de Versailles.