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Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/65

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— Et maintenant, Henry, dit Mlle Tilney, que vous nous avez expliqué de quoi il s’agissait, vous pourriez aussi rendre votre personnage plus clair à Mlle Morland : sinon vous risquez qu’elle vous trouve intolérablement dur pour votre sœur et d’une grande discourtoisie pour les femmes en général. Mlle Morland n’est pas habituée à vos façons bizarres.

— Je serais très heureux de lui faire faire plus ample connaissance avec elles.

— Soit. Mais ce n’est pas là une explication.

— Que dois-je faire ?

— Vous le savez bien. En galant homme, rendez-lui compréhensible votre caractère. Dites-lui que vous avez une très haute opinion de l’intelligence des femmes.

— Miss Morland, j’ai une très haute opinion de l’intelligence de toutes les femmes, surtout de celles — quelles qu’elles soient — en la compagnie de qui je me trouve.

— Ce n’est pas suffisant. Soyez plus sérieux.

— Miss Morland, personne ne peut avoir de l’intelligence des femmes meilleure opinion que moi. À mon avis, la nature leur a tant donné qu’elles ne trouvent jamais nécessaire d’en employer plus de la moitié.

— Il n’y a rien à en tirer de sérieux pour le moment, miss Morland. Mais il ne faut pas prendre ses paroles au pied de la lettre quand il paraît injuste pour les femmes ou désobligeant pour sa sœur.

Catherine n’avait à faire nul effort pour croire Henry Tilney impeccable. L’expression, elle en convenait, pouvait parfois surprendre, mais l’idée était toujours noble, et, du reste, ce qu’elle ne comprenait pas, elle était aussi encline à l’admirer que ce qu’elle comprenait. La promenade, qui toute fut charmante, se conclut à souhait pour Catherine : ses amis la reconduisirent chez elle, et Mlle Tilney obtint de Mme Allen la permission d’avoir Catherine à dîner le surlendemain.

Le temps avait passé d’une façon si agréable, qu’au cours de la promenade Catherine n’avait pas pensé une fois à Isabelle et à James. Les Tilney partis, sa sollicitude pour Isabelle revint ; mais Mme Allen ne détenait aucun renseignement qui pût rassurer Catherine. Celle-ci s’aperçut alors qu’elle avait besoin de quelques yards de ruban : il fallait de toute nécessité les acheter et sans un instant de délai. Elle sortit et, dans Bond Street, rejoignit la seconde des demoiselles Thorpe, qui flânait du côté d’Edgar’s Buildings avec deux délicieuses jeunes filles qui avaient été ses amies chéries toute la matinée. Elle apprit ainsi que l’excursion à Clifton avait eu lieu.

— Ils sont partis ce matin à huit heures, dit Anne, et je ne les envie pas. Ce doit être la promenade la plus assommante. Il n’y a pas une âme à Clifton en ce moment. Belle était avec votre frère et John avec Maria.

Catherine exprima son plaisir de savoir que Maria était de la partie.