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Page:La Revue blanche, t18, 1899.djvu/122

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LA REVUE BLANCHE

avons vu, nous avons subi les crimes d’un militarisme aussi contraire aux intérêts de la défense nationale qu’aux libertés publiques. Nous voyons apparaître à l’horizon le fantôme arrogant d’un césarisme clérical comme le monde n’en a pas connu. Le danger est grand. Grand doit être notre courage. On n’arrête pas le progrès. L’humanité vit de justice et de liberté. Ce sera assez pour nous d’avoir donné notre effort et, s’il le faut, notre vie, pour une telle cause.

Documents
sur l’application des Lois d’exception de 1893-94

Six mois. — Déjà ! Depuis qu’ici même je plaidai la cause des victimes des lois scélérates.

Six mois ne sont rien, pour qui les vit en liberté, même dans les plus pénibles conditions ; mais six mois au bagne, sous le revolver des garde-chiourme, avec la tâche surhumaine qu’il faut abattre, la nourriture malpropre et insuffisante, les fièvres d’un climat malsain, six mois d’une telle existence sont un long supplice.

Ce qu’est la vie au. bagne, les extraits d’une lettre d’un condamné pour association de malfaiteurs, qui subit actuellement sa peine à la Guyane, en donneront un faible résumé :

« J*ai quitté les Îles et Je suis dans cette infecte capitale delà Guyane qu’on appelle Cayenne,

Il va m’être possible de faire connaître comment l’homme est traité, depuis St-Martin-de-Ré jusqu’ici et même jusqu’à sa « crevaison », comme on nous dit ici…

Nous crevons littéralement de faim ! C’est au point que le manque de nourriture est plus terrible que le climat. Le dimanche, le mardi et le jeudis le matin à 10 heures, on reçoit chacun un quart de riz cuit à l’eau ; le soir à 5 heures, un peu de viande et deux quarts de bouillon qui prétend être gras. Le tout n’est pas mangeable et tes trois quarts des détenus, ne pouvant arriver à manger ces saletés, les jettent.

Le lundi et le vendredi, le matin, un peu d’endaubage ; le mercredi et le samedi, un peu de lard le matin, et, les quatre soirs, deux quarts chacun de bouillon de légumes secs, pois, haricots ou lentilles.

Chaque jour, on nous donne 750 grammes de pain, — c’est l’unique chose qui soit mangeable ! Le reste ne vaut autant dire rien et je suis certain qu’il y a en France les trois quarts des chiens qui sont mieux nourris que nous.

Voilà ce qui tue le forçat, beaucoup pins que le climat : mauvaise nourriture, manque de nourriture. — sans oublier le travail et les balles de revolver !

Il y a des chantiers forestiers où les détenus sont obligés de partir du travail le matin avant 6 heures ; ils pataugent dans l’eau et dans la vase, souvent jusqu’à la ceinture, sans avoir une bouchée de pain dans les tripes jusqu’à 4, 5 ou 6 heures du soir. S’ils ne vont pas assez vite à travailler, il y a de ces contremaîtres qui tes triquent jusqu’à plus soif, et si le soir, en rentrant, la tâche n’est pas faite, on les colle au cachot et aux fers eh ne leur donnant qu’un petit