Page:La Revue blanche, t18, 1899.djvu/570

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fui, s’il n’y avait ni mort ni cas de maladie. À 6 heures du matin, le cuisinier apportait du pain noir et une écuelle de soupe, c’était la nourriture de toute la journée. De 10 heures à 10 heures et demie, je faisais une promenade dans la cour de la prison, puis on me ramenait dans ma cellule et cela jusqu’au lendemain.

Pendant mon dernier jour de cellule correctionnelle, ma mère vint me voir ; elle avait pu obtenir cette permission. Avec ces mots : « Ah ! mon cher fils », elle se jeta dans mes bras. Je fus heureux de voir que son âme n’était pas trop accablée, bien qu’il lui fallût beaucoup de force pour retenir ses larmes. Mais sa douleur était, ce jour-là, modérée par la joie de me voir. Elle voulait visiter la cellule dans laquelle j’étais enfermé, mais l’officier qui assistait à notre entretien déclara que c’était impossible. Alors, elle voulut me la faire décrire. Je lui décrivis ma cellule, mais non pas le local que j’occupais auparavant, et je la tranquillisai en lui disant que je n’avais aucun besoin matériel et que moralement j’étais toujours aussi brave qu’elle me voyait. Bien qu’elle eût beaucoup souffert et souvent pleuré à cause de moi, elle ne me fit aucun reproche et, du plus profond de son âme, elle me pardonnait ses souffrances. Elle insista près de l’officier pour avoir la permission de me donner quelques gâteaux qu’elle avait apportés pour moi, mais il ne le lui permit pas. Elle me glissa en cachette quelques lettres, parmi lesquelles une du comte Léon Tolstoï.

Quatre mois après ma condamnation, je fus appelé devant une commission spéciale qui me déclara inapte au service militaire et, d’après son rapport, je fus chassé de l’armée. Le gouvernement autrichien voulait, par ce moyen, conserver pour lui l’apparence du droit.

[Le Journal du Dr Skarvan se termine là.

Quand le Dr Skarvan eut quitté la prison, les meilleurs jurisconsultes lui dirent que son diplôme de docteur en médecine lui serait certainement rendu. Ayant fait une demande dans ce sens à la faculté de Médecine d’Insprück, il reçut du secrétaire de la Faculté la lettre suivante :

« Je considère votre lettre au doyen de la Faculté de Médecine d’Insprück comme tout à fait particulière, c’est pourquoi je réponds à votre lettre comme homme privé, et tout à fait confidentiellement. La Faculté et l’Université ne peuvent pas être responsables de l’arrêt du conseil de guerre et de ses suites ; votre diplôme vous a été enlevé, et vous devez considérer cela comme un fait irrévocable. »

À la fin de sa lettre, le secrétaire conseillait à Skarvan d’adresser une demande à l’empereur.

Skarvan ne put se résoudre à cette démarche, et jusqu’ici son diplôme gît dans les archives de la Faculté de Médecine d’Insprück comme témoignage de la soumission de l’Université à l’Armée.

Dans un chapitre qui complète son Journal, Skervan formule encore quelques réflexions sur le militarisme et le service militaire.]

En pensant à notre vie et à la nécessité où sont les hommes de secouer leur servilité envers de l’État qui base sur elle toutes les violences, je me suis souvenu de ce qui m’est arrivé