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Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/138

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de Paris ? » Cet homme avait si évidemment raison que je me tus. J’avais affaire à l’évidence guesdiste.

Je ne fus donc pas surpris de lire dans l’Aurore du mercredi 19 juillet, quelques jours après la publication du manifeste, un ordre du jour signé de lui et ainsi énoncé :

Groupe d’étudiants collectivistes de Paris. — Considérant que l’entrée dans un ministère d’un élu socialiste est une défection à la cause prolétarienne et une négation du principe de la lutte de classes ;

Considérant, en outre, que des socialistes, en devenant les défenseurs du ministère Galliffet-Millerand-Waldeck Rousseau, se rendent coupables d’une véritable compromission et font subir une déviation à la tactique du prolétariat organisé ;

Le groupe d’étudiants collectivistes, adhérent au Parti ouvrier français, donne son entière approbation au manifeste rédigé par le Conseil national, le Parti socialiste révolutionnaire et l’Alliance communiste.

Pour le groupe et par ordre,
Henri Nivet

Un ami à moi, qui avait beaucoup d’illusions avant le commencement de l’affaire Dreyfus, et qui depuis en a perdu beaucoup tous les jours, un ami un peu naïf, qui ne croyait pas volontiers à l’impénitence finale du pécheur, connaissait un peu Nivet. Le rencontrant dans la rue un peu après le manifeste, il l’entreprit sur cet ordre du jour, le poussa, le pressa. Aucun secret professionnel ne m’empêchera de révéler comment finit l’entretien. Nivet, impatienté, laissa échapper ce cri du cœur, si l’on peut ainsi dire : « Écoute ! Que Dreyfus soit innocent ou coupable, cela m’est égal ! » Je ne sais pas même s’il n’a pas dit : « Que Dreyfus soit condamné ou non, cela m’est égal ! » Je donne ici la traduction atténuée de ses expressions, bien entendu. Sur quoi mon ami fit demi-tour par principe, ainsi qu’on l’enseigne au régiment, et s’en alla droit devant lui.

Eh bien, non ! cela ne leur est pas égal. Cela ne leur est pas indifférent. Nous avons vu qu’ils ont en réalité pris parti. Pourquoi ?

Si quelqu’un énonçait cette simple proposition : Que Guesde ne sait pas ce que c’est que le socialisme, il aurait l’air de dire une insolence et de se complaire à prononcer un facile paradoxe. Il n’en émettrait pas moins une proposition aussi rigoureusement exacte que celui qui, pendant les massacres d’Arménie, aurait énoncé que : le pape Léon XIII ne savait pas ce que c’est que le christianisme.

Pourquoi Guesde ne sait-il plus ce que c’est que le socialisme ?

Sans refaire la psychologie de la secte, on peut avancer, je crois, que le long exercice d’une autorité absolue est cause des jalousies les moins explicables, des haines les moins justes, et des caprices les plus monstrueux. Nous savons par l’aventure de M. Chanoine, le fils, le capitaine, et de M. Voulet, à quelles atrocités de barbarie orientale peuvent se précipiter plusieurs Occidentaux de culture moyenne et d’intelligence ordinaire qui ont le commandement en chef d’une expédition. Le cas de M. Guesde n’est pas sans analogie. À ceux qui douteraient de son autorité absolue et des ravages qu’elle exerce, qu’on me laisse rappeler l’ordre du jour voté dans la sixième séance