Aller au contenu

Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
Aphorismes tirés de l’Unique

[Au numéro 19 de la Philipstrasse, à Berlin, on lit sur une plaque de marbre l’inscription suivante gravée en lettres dorées : Dans cette maison est mort Max Stirner (Dr. Gaspar Schmidt, 1806-1856), auteur du livre immortel « l’Unique et sa Propriété ».

Cette plaque fut posée en 1892. Jusque là, depuis 1845, silence profond sur l’homme et le livre. En ces dernières années seulement, des esprits très divers, entre autres un philosophe, un musicien et un poète, se rencontrent sur ce nom et découvrent que l’œuvre que la censure, en 1845, avait qualifiée d’ « absurde » et, pour cette raison, dédaigné de poursuivre est unique comme le titre qu’elle porte. De tous cotés l’intérêt s’éveille. M. Schellewien étudie parallèlement Stirner et Nietzsche, M. J. H. Mackay rassemble pieusement les moindres écrits de Stirner et parvient à reconstituer en partie sa biographie, Hans de Buelow — très candidement et sans la moindre ironie — dans un remarquable discours prononcé devant une société philharmonique, associe le nom de Stirner à celui du prince de Bismarck.

A dix années près, pareille rénovation se fait en France pour Stendhal, et après le même silence. Il n’y pas là qu’une simple coïncidence, — l’un et l’autre précédaient leur temps. Il fallait encore cinquante années d’histoire. L’individu avait encore de dures expériences à subir pour pouvoir s’élever à un degré supérieur de fierté ou d’irrespect qui le rapprochât de l’Egotiste de Stendhal, de l’Egoïste de Stirner.]

Du fait qu’on élève l’Etre, on rabaisse l’existence phénoménale à une pure illusion. Connaitre et reconnaître l’Etre seulement et rien que l’Etre, c’est religion. Ce n’est pas moi que tu respectes, mais l’Homme qui a élu demeure en moi, l’Esprit, l’Etre dont je suis « hanté ». Possédés d’idées fixes qui sont sacro-saintes pour nous, nous nous agitons dans le cercle de ces idées fixes, notre critique s’y attaque, mais elle en laisse le fond intact, c’est une attaque bienveillante qui n’a pour objet que de les délivrer des scories qui les encombrent. Ceux-là même qui sont le plus ennemis du christianisme sont encore des chrétiens, car ils demeurent esclaves de l’idée, de l’Esprit. Ce sont des chrétiens moraux qui ont aussi leurs « articles de foi qu’on ne doit pas toucher ». La foi morale est aussi fanatique que la foi religieuse. Les mêmes gens qui s’opposent au christianisme comme principe de l’Etat, quí combattent ce qu’on appelle « l’Etat chrétien », répète- ront à satiété que la morale est « la clef de la voûte de la vie sociale et de l’Etat », comme si la vie sociale n’était pas la domination absolue du Saint, une Hiérarchie. Ce possédé de Néron fut vraiment un homme gênant. Mais un