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Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/24

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La voie qui est la Voie, n’est pas la voie ordinaire.
Le nom qui est le Nom, n’est pas le nom ordinaire.
L’innomable est la source de l’universel. Le nomable est la mère de l’individuel.

Cependant : L’homme libre des vains désirs le verra manifeste. L’homme attaché aux vains désirs le verra confus.

Ces deux catégories [l’universel et l’individuel] procèdent du même principe, mais apparaissent opposées par la parole.

Elles sont inapprofondissables, l’inapprofondissable de l’inapprofondissable ; et la porte vers tous les mystères.

Le bon kou-wen est ancien, et sa forme la plus ancienne et belle pèse de tout son poids moral et esthétique sur les périodes suivantes.

Après les livres canoniques, le jeune homme s’occupe peu à peu de la littérature historique, géographique, scientifique ; il lit quelques chapitres de Sze-ma-thsien, le grand historien du premier siècle de notre ère, et certainement le « San-kouo-chi », « l’Histoire des trois Empires », roman plus ou moins historique, qui joue, sur une échelle infiniment plus vaste, en Chine, à peu près le rôle des « Trois Mousquetaires ». Il s’occupera aussi nécessairement de la littérature artistique des xiiie et xive siècles, qui étaient une véritable Renaissance. Et c’est alors seulement qu’il saurait apprendre le kouan-hoa écrit — qui lui resterait mystérieux plus tôt ; et c’est alors qu’il est « mûr » pour la littérature moderne — soit comme auteur, soit comme amateur.

Au fond, la littérature chinoise n’a plus beaucoup changé depuis la formation du kouan-hoa, c’est-à-dire depuis à peu près quatre siècles. On peut dire que depuis le quatorzième siècle la littérature chinoise est en décadence. Mais on peut dire avec autant de raison qu’à partir d’un certain moment il n’y a eu en Chine ni décadence ni ascendance. En Chine tout est considéré, et tout existe en quelque sorte « sub specie aeterni » ; quelques siècles sont pour ce peuple immortel comme quelques années pour nous. Les romans des quinzième et seizième siècles sont aussi modernes que ceux qui ont paru il y a huit jours ; et il n’y a que la littérature scientifique qui suive naturellement un développement caractérisé.

On ne sait généralement pas en Europe que la littérature chinoise est non seulement la plus indépendante, mais encore la plus considérable (en quantité certainement) qui existe. On peut remonter dans son histoire, sans interruption jusqu’à cinq siècles avant notre ère. Et son développement technique atteignit son point de culmination à un moment où de rares moines copiaient de rares manuscrits en Europe ; depuis le xiiie siècle rien n’a plus changé dans la librairie chinoise, non pas à cause d’une stagnation ou d’une décadence, mais tout simplement parce qu’il n’y avait plus de progrès à faire.

L’imprimerie fut inventée en Chine 860 ans plus tôt qu’en Europe, en 593. Au xie siècle on connaissait déjà les types mobiles, que l’on abandonnait bientôt comme trop peu pratiques. Et depuis le com-