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Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/534

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me fait plaisir !… — J’ai été l’embrasser pour la remercier, mais déjà elle disait à Olympe que le manche à gigot manquait, et elle n’était plus du tout à mon contre-si de tête… L’après-midi, restées. Père seul s’est absenté, il n’est même pas rentré, un petit bleu qu’il nous avait envoyé nous prévenait qu’il dînait avec des messieurs de la Chambre, et le préfet, qui est à Paris.

Mercredi. — Nous avons été, à cinq heures, rendre visite à madame Tirebois dont c’était le jour. Germaine portait une robe assez échancrée, et un tablier rose à bavolets, elle offrait le thé quand nous arrivions. Il y avait beaucoup de monde, et comme Germaine était très affairée, j’étais assise seule, et un peu intimidée par conséquent. Madame Tirebois avait une traîne à sa robe, et des saphirs énormes aux oreilles ; elle causait tout bas à un monsieur âgé, décoré ; je pense même qu’il avait une perruque, car, quand il buvait son thé, ses oreilles remuaient, et on apercevait un vide entre elles et le crâne. Germaine m’apporta une tasse et des gâteaux, une grande jeune fille qui la suivait avec le sucrier et le pot au lait me sourit si gentiment que je sympathisai tout de suite avec elle ; pour lui être agréable, je sucrai mon thé beaucoup plus que de coutume, et, par la suite, j’en ai eu un peu mal au cœur ; elle s’appelle Marthe Gérard, m’a dit Germaine plus tard ; elle est orpheline, et vit avec son parrain, un goutteux millionnaire. Comme Germaine s’asseyait enfin avec moi sur le canapé, il entra en coup de vent dans le salon une grosse dame et son fils, un long jeune homme pâle, qui portait une serviette sous le bras ; Germaine l’appela pour me le présenter ; c’était son cousin Alfred ; il s’assit près de nous, assez gauchement, et nous entendîmes alors distinctement un tintement de grelot qui venait de son côté. Comme Germaine, Marthe et moi le regardions, surprises, il rougit affreusement, et se tint immobile. Je sus par la suite que c’était le grelot de sa bicyclette, qu’il avait par mégarde dans une de ses poches ; et, n’osant bouger, par crainte de faire du bruit, il n’accepta ni thé, ni gâteaux. Rentrées à la maison en voiture, il pleuvait beaucoup.

Jeudi. — J’ai reçu, le matin, un mot de Germaine qui me dit que son père l’emmène ce soir chez Marck le dompteur, à la fête de Montmartre, et elle me demande si Mère me permettrait de les y accompagner. J’ai la permission et je saute de joie ! Toute l’après-midi, je suis restée à la maison. Vers huit heures du soir, on a sonné, c’était M. Tirebois et Germaine qui venaient me prendre. Père a dit à M. Tirebois : — Je ne vous accompagne pas, la Chambre me suffit ! — ce qui a beaucoup fait rire M. Tirebois. Moi, j’étais prête déjà, et nous n’avons eu qu’à partir. Ça sent très fort quand on entre dans la ménagerie, qui est pourtant admirablement tenue. Au premier rang, des fauteuils étaient réservés, derrière lesquels nous nous sommes installés. Il y avait un lion magnifique assis tout contre les barreaux, il nous regardait bien en face, en passant sa langue sur ses babines, j’ai été si intimidée que je ne l’ai plus regardé. Il y avait trois ado-