Page:La Revue blanche, t21, 1900.djvu/111

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croit-on qu’une idée aussi capitale, si elle n’était pas corroborée, dans l’esprit des intéressés, par une notion claire ou par l’instinct pourrait être inoculée aux masses par quelques publicistes ou orateurs supérieurement doués ?

Quant à la thèse catastrophique, nous devons reconnaître que Marx et Engels ont exagéré sa portée, en prédisant la révolution finale et complète pour la fin du XIXe siècle. Mais de ce qu’ils se sont trompés sur les dates, il ne résulte point que leur idée soit absurde. Il serait bien étrange qu’il se fît sur le globe une transformation qui fût purement dirigée par les spéculations d’une sage méthode. On abuse du précédent du 4 août et le 4 août a été loin de supprimer le passé, puisqu’il a encore fallu, pour atténuer sa puissance (et même sans le déraciner), quatre années de soubresauts violents et de cataclysmes partiels. Il n’y a point eu d’exemple qu’une classe au pouvoir ait abdiqué volontairement et intégralement la domination. La révolution qui clôt une évolution peut être plus ou moins rapide, plus ou moins brutale ; mais c’est être d’utopiste que de présumer qu’elle puisse être épargnée.

III. — Les théories économiques de Bernstein devaient aboutir à une conception politique nouvelle. C’est ici surtout que la désertion de la tactique traditionnelle et révolutionnaire devient manifeste, mais elle se rattache d’ailleurs par un lien des plus logiques aux notions que nous avons critiquées plus haut. Le socialisme n’est plus qu’un parti de réformes démocratiques et socialistes — on ne nous dit point au surplus ce qu’on entend par cette dernière épithète, mais nous en saisissons trop bien la signification. Les instruments du progrès futur sont : la coopération que le publiciste allemand relève de la déchéance dont elle était frappée, et le développement de la législation du travail. La réduction du service militaire est aussi très désirable ; enfin Bernstein écarte l’a-priorisme dont s’inspirent les socialistes, chaque fois qu’un gouvernement vient proposer une nouvelle expédition coloniale. Pourquoi rejeter en bloc, de parti-pris, sans considération spéciale et afférente à chaque circonstance, les établissements, les extensions de territoire qui peuvent servir l’ensemble de la nation ? Au total, ce que notre auteur préconise et revendique, comme l’objectif suprême, c’est le retour au libéralisme.

Les socialistes contemporains ne sont les adversaires ni de la coopération, ni de la législation des fabriques. Ils estiment même que trop longtemps le prolétariat a tenu l’une et l’autre en suspicion. Il est vrai que lorsque Blanqui chez nous, dans ses admirables Notes de 1866, fulminait contre le « coopératif », il y voyait justement la déviation du socialisme entraîné par un Bernstein supérieur, et les suggestions du pouvoir impérial intéressé à canaliser la poussée prolétarienne renaissante. Il est vrai aussi que, lorsque les fondateurs des partis ouvriers marquaient leur froideur aux lois du socialisme d’État innovées par le gouvernement germanique, ils avaient cent mille bons motifs de se défier de Bismarck et de ses collaborateurs. Mais