Page:La Revue blanche, t21, 1900.djvu/19

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Pour l’innocence, 3 sous, 1 liard en cuivre ;

Pour la main blanche, 7.000 écus en or ;

Pour la sensibilité et l’imagination, une pièce de 3 centimes par ironie ;

Pour le silence qui sera gardé sur ses qualités morales, 11.000 écus en ducats cordonnés de Hollande — cela fait ensemble 20.000 écus, 3 sous, 4 liards. J’en déduis 5 sous, 2 liards pour l’intelligence. Restent 19999 écus. 18 sous, 2 liards.

Du Val. — Tope, monsieur le collectionneur de fiancées et hannetons ! Quand toucherai-je l’argent ?

Le Diable. — Sur-le-champ ! Jurez moi en échange d’attirer la Liddy demain dans la petite maison du bois de Schallbrunn, d’empêcher ses domestiques de l’accompagner, et de ne pas vous enquérir de ceux qui là-bas raviront la jeune fille.

Du Val. — Je m’y engage, sauf à attirer moi-même la baronne à Schallbrunn, parce qu’on trouverait cela suspect de ma part. Je vous conseille de décider l’esthète Mort-aux-Rats à proposer à Liddy une promenade de ce côté ; il lit beaucoup les néo-romantiques et délire presque dans la maisonnette.

Le Diable. — Je vais essayer cela avec lui. Mais pour cette restriction vous trouverez bon que j’acquitte la moitié de ma dette en papier-monnaie autrichien.

Du Val. — Hé. monsieur, vous êtes un damné avare !

Le Diable, (flatté et réjoui). — Oh, je vous prie — vous me faites rougir ! Je sais bien volontiers damné, bien volontiers avare, furieusement volontiers avare, mais pas encore assez, bien loin de là !

(Il sort avec Du Val.)
(Acte II, sc. II.)
La chambre de Mort-aux-Rats.

Mort-aux-Rats, (est assis à une table, et veut composer). — Hélas, les pensées ! les rimes sont là, mais les pensées, les pensées ! Je m’assieds là, je bois du café, je mâche des plumes, j’écris, je biffe, et je ne peux trouver aucune pensée, aucune pensée ! Ah ! comment saisir cela ? Halte, halte ! Quelle idée me vient ? Somptueux, divin ! C’est précisément sur cette pensée que je ne puis trouver de pensées, que je vais faire un sonnet, et vraisemblablement cette pensée sur le manque de pensée est la plus géniale pensée qui pouvait s’offrir à moi. Je vais incontinent sur ce sujet, que je ne puis composer, composer un poème. Que piquant, qu’original ! (Il court devant la glace). D’honneur, j’ai bien l’air génial ! (Il s’assied à une table.) Maintenant, je commence !

(Il écrit.)