Page:La Revue blanche, t21, 1900.djvu/38

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ble à un vieux tableau démodé !… Peut-être suis-je un peu gâteuse moi-même !… Pourtant j’ai une bonne tête, allez !… Et ça aurait pu vous arriver de vous tromper aussi bien qu’à moi !

La conversation changea donc pour la troisième fois de direction.

Mais avant que les Bidoure ne la quittassent, la tante Cottineau avait trouvé le moyen d’émettre de fâcheuses insinuations sur la fortune de M. Bidoure, de laisser planer de singuliers doutes sur la réussite d’une affaire industrielle dont il se trouvait actionnaire, et de demander du ton le plus dégagé du monde, des nouvelles d’un fort joli garçon, M. Edmond Siffleaux, qui était si bien et pour lequel Madame Bidoure avait eu certainement un faible dans sa jeunesse, avant de se marier avec Monsieur !


Chez la tante Duseigneur, où les Bidoure se rendirent ensuite, en retraversant les petites baraques du jour de l’an, ils trouvèrent plusieurs visites lorsqu’ils entrèrent. Les Lemur venaient, paraît-il, d’en partir, il y avait à peine un instant, et ils seraient arrivés seulement quelques minutes plus tôt, qu’ils auraient trouvé pour la quatrième fois leur quatre places stationnant devant la porte.

Avec sa volubilité charmante, continue, ne permettant pas de placer un mot, ses bonheurs d’expression, ses bandeaux d’un noir si étonnant à soixante-cinq ans… on les eût cru teints !… la tante Duseigneur était en train de parler de feu son mari le flûtiste, et d’exhiber son étonnante collection de tabatières, pommes de cannes et coques de montres, qui, « chacun le sait, est unique dans la capitale ! »

Elle eut un flot de paroles délicieuses pour remercier les Bidoure de leur cigogne en peluche, qui justement eût tant fait de plaisir à M. Duseigneur, artiste à tous les points de vue, s’il avait été vivant !

Le souvenir du cher mort, qui lui amena quelques larmes passagères au coin des yeux, la fit subitement se souvenir d’autres chers morts, depuis longtemps partis.

— Ah ! mon enfant !… disait-elle par exemple à Mme Pulchérie… Prends donc ce verre de Porto… Car j’ai tant aimé ton pauvre père !… En souvenir de lui !

D’autres morts également lui remontaient à la mémoire.

Cette pauvre Élodie qui avait gémi à courir le cachet et donner des leçons de piano durant toute sa vie !

Cette malheureuse Antoinette, qui s’était étiolée dans des travaux de couture mal rétribués !

Cette infortunée Mme Desturbeaux-Rouchin, qui pendant vingt ans, avec une tumeur atroce à l’intérieur de l’abdomen, avait dû se soumettre aux labeurs les plus dégradants, même les plus abjects, afin de nourrir ses enfants.

Elle en trouvait de nouveaux encore, tous plus malheureux et infortunés, une vraie collection de chers morts, presque aussi nombreuse que celle des tabatières de feu son époux, sur lesquels elle ne tarissait plus !