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Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/107

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repos de chaque soir, après avoir battu le fer, et s’asseoir, dormir, se réformer peur le lendemain, cela même était un but, cela séparait la nuit du jour et semblait illustrer la vie. Mais les longs repos, la paresse entrant dans la chair, la décomposition de la chair par la paresse ! Le temps coule comme dans les conques marines, monotone et bête, en souvenir de la mer et des galets et on l’entend dans sa tête comme une fuite sans cause. Le temps s’en va son train et ressemble aux chiens errants qui trottinent en baissant l’oreille.

Quand il faisait beau, il vivait sur son banc. C’était un banc massif formé d’une grosse planche posée sur quatre pieds bruts. La rue était presque orientée de l’est à l’ouest. Jusqu’à quatre heures de l’après-midi, le soleil donnait sur la maison du Vieux et l’ombre de la rue était celle des maisons d’en face. Dès la première heure il y transportait son banc, s’asseyait et assistait aux événements du matin. Les ménagères balayaient leur seuil, jetaient des crasses dans la rue ou de l’eau sale dans le caniveau. Les deux premières années, en le voyant, l’on disait : « Tout de même c’est bien triste d’être là et de ne pouvoir plus travailler. » Mais bientôt on en eut assez. La troisième année, elles disaient : « Ça fait malice d’être là à s’éreinter et de voir ce vieux feignant assis sur son banc. » Des fois il était assis comme tout le monde, d’autres fois il se couchait à moitié. À quatre heures, l’ombre ayant changé de place, le banc retournait devant chez le Vieux. Toute la journée, l’homme était là avec sa blouse, ses gros sabots de bouleau, son grand chapeau noir et sa barbe blanche. Il était robuste et grand, il avait fini par maigrir et, la gueule creuse, on voyait qu’il avait avalé un peu de ses joues.

Il fit partie de la rue comme les trottoirs, comme les façades, comme l’ombre et le soleil. En passant on lui adressait un mot, comme on adresse un coup d’œil. Il en prit une telle habitude que ceux qui ne lui parlaient pas lui semblaient vaniteux, une telle habitude que le priver de son mot lui semblait une injure. On lui disait : « Vous êtes donc en repos ! » Il répondait : « Mon Dieu, oui ! » Parfois on ajoutait encore : « Il y fait bien bon. »

Il eut aussi des distractions avec les enfants. Il y avait