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Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/340

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littoral les dépôts et les camps des corps disciplinaires. À l’en croire,[1], cette mesure mettrait efficacement un terme aux brutalités et aux sauvageries de la chiourme. Or, les bagnes militaires qui font l’objet de cet article sont tous — à l’encontre des compagnies de discipline — placés sur le littoral, et comme tels, semblerait-il, sous le contrôle des autorités supérieures et de l’opinion publique[2]. Pourtant, les atrocités commises là quotidiennement dépassent tout ce qu’on pourrait concevoir ; les faits que j’avais précédemment cités et dont la lecture provoqua le plus d’indignation à la Chambre des députés furent ceux, précisément, commis l’année dernière dans des établissements du littoral

  1. «… Mais, d’un autre côté, nous devons éviter de laisser nos sous-officiers compromettre leur conscience en continuant le métier qu’ils font en ce moment, éloignés de toute surveillance, trop privés de direction, trop chargés de responsabilités. Donc, nous les rapprocherons du littoral. » ( Applaudissements.) ( Extrait du Journal Officiel du 1er mars 1902.)
  2. D’ailleurs, à en juger par ses déclarations, le ministre de la guerre ne paraît connaître qu’incomplètement cette question sociale de la discipline et de la pénalité militaires. Voici quelles sont ses paroles textuelles, en réponse à l’interpellation de M. J.-L. Breton sur les compagnies de discipline : «… Je le répète, nous étudions une transformation de ces compagnies — car je tiens à les maintenir — qui aura pour double objet, d’une part, de mettre les hommes à l’abri de pratiques barbares ; d’autre part, de ramener au bien les condamnés, s’il s’en trouve dans la quantité qui sont encore capables de se relever, et je n’en doute pas. Ceux-là, on fera tout ce qu’il sera possible pour les encourager, pour les ramener dans la voie du bien que leur ouvre la profession militaire, car nous avons là des hommes qui ont pu commettre des délits, même des crimes, et qui pourront faire, au moment voulu, d’excellents soldats. » Il s’agirait pourtant de s’entendre ; et il est permis de s’étonner de l’ignorance de notre ministre de la guerre sur une des questions principales de l’organisation militaire : la discipline. « La transformation, que nous étudions, de ces compagnies de discipline aura pour but — disait le ministre — de ramener au bien les condamnés… » Mais les disciplinaires dont il s’agit là ne sont point des condamnés : leur envoi aux compagnies de discipline ne peut être le résultat d’un jugement, l’effet d’une condamnation ; et, mieux, le seul fait d’être disciplinaire — cela étonnera peut-être — est le plus sûr garant de la virginité de leur casier judiciaire : une condamnation antérieure, un délit quelconque de droit commun, les ferait irrémédiablement expulser de ces compagnies et affecter aux bataillons d’infanterie légère d’Afrique, ainsi que le prescrit la loi. Ce cas d’expulsion des compagnies de discipline se présente quelquefois ; les mutilés volontaires eux-mêmes, pourvus de condamnations de droit commun ou appartenant déjà aux bataillons d’Afrique, sont affectés, après leur mutilation, aux sections disciplinaires spéciales de ces bataillons, et non point à la 4e compagnie de discipline qui, pourtant, doit recevoir exclusivement les simulateurs et les mutilés volontaires. Donc, quoi qu’en puisse croire le ministre de la guerre, il ne s’agit point là « d’hommes qui aient pu commettre des délits » : quant, à l’allusion que fit le ministre à leurs crimes ( « nous avons là des hommes qui ont pu commettre des délits, même des crimes » ), il est difficile d’admettre que le général André puisse ignorer que tout fait qualifié crime — et même crime militaire — entraîne l’immédiate expulsion de l’armée, et la remise du condamné militaire pour crime à l’administration pénitentiaire civile. Il n’y a qu’à consulter le Code militaire, et il n’est pas un seul corps disciplinaire on pénitentiaire, pas même un bataillon d’Afrique, un pénitencier militaire, voire même un atelier de travaux publics, qui puisse recevoir un condamné pour crime. Mais il est aisé de constater l’ignorance de la presque totalité des officiers en ce qui concerne le fonctionnement intérieur de la discipline militaire, et ce serait peut-être là une explication de l’aisance avec laquelle, juges de conseils de guerre ou membres d’un conseil de discipline, ils expédient aux compagnies de discipline, aux pénitenciers utilitaires ou aux ateliers de travaux publics (tous établissements confusément réunis en leur esprit sous le terme générique et vague de « Biribi » ), le malheureux troupier sur le sort de qui ils doivent statuer.