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Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/355

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Le Père Perdrix  [1]


DEUXIÈME PARTIE


chapitre iii


Ce fut une vie où les jours se poussaient avec lenteur et conduisaient un homme au pays des yeux clos. Jean se levait à sept heures, puis descendait et disait bonjour à ses parents. Ils répondaient par un bonjour râpeux et posaient devant eux leurs sentiments comme un mur. Autrefois, il y avait le matin des histoires de rêves ou quelqu’un de ces souvenirs que l’ombre fait mûrir et que l’on cueille en commençant la journée comme un fruit du cœur.

Ils ne se rencontraient guère tous les quatre qu’aux moments des repas. On traînait les chaises jusqu’à la table, elles raclaient les carreaux et c’était encore là un sujet d’observation : « Ne racle donc pas tant le carreau avec ta chaise. » Une fois, il y avait un carreau déjà cassé et Jean le heurta si malheureusement que l’angle en fut descellé : « C’est toujours la même chose. Jamais de ta vie tu ne pourras avoir d’attention. Si nous ne prenions pas plus de précautions que toi, tous les ans il faudrait dépenser de l’argent à des réparations. » À la soupe du matin, tout allait bien, parce qu’en cas de danger Jean n’avait qu’à précipiter le mouvement. Après avoir mangé, il versait un peu de vin dans son verre et Pierre Bousset donnait un coup d’œil. Si parfois la bouteille était vide, la mère se levait en disant : « Il faut encore que je descende à la cave. Ici. personne ne prend soin de mes jambes. »

Mais certains jours, le repas de midi était chargé. Cela se reconnaissait à une forme de silence qui semblait entourer chacun et qui eût jailli sous un choc. Alors Jean se tenait

  1. Voir La revue blanche des 1er et 15 mai, 1er et 15 juin 1902.