Aller au contenu

Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/537

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de règles grammaticales, de lois physiques, de grands écrivains, de théorèmes et de sulfocarbonates.

À cette condition seulement les écoliers auront le temps de vivre, de jouir de leur jeunesse, d’admirer, de questionner et d’apprendre à connaître la nature et l’œuvre des hommes.

Plutôt que d’accroître dès les premières années l’érudition de l’enfant, que l’École développe autant que possible ses aptitudes. Nos aptitudes sont en quelque sorte pour nous de la science à l’état potentiel. Quand nous les exerçons quelque chose de durable s’organise au fond de notre être. En habituant l’écolier à s’exprimer avec clarté et précision ; en le stimulant, pendant des années, à découvrir de petites différences et de profondes analogies ; en l’accoutumant à distinguer les paroles qu’il comprend nettement de celles qu’il ne comprend guère ; en lui faisant comprendre dans quels cas il peut affirmer ou s’affirmer et dans quels cas il doit dire : « Je ne sais pas » ; en l’exerçant aussi à reconnaître ce qu’il y a d’insuffisant dans certaines argumentations ; en lui donnant le goût, le besoin de l’activité ; en fortifiant ses muscles ; en développant l’adresse de ses doigts par de fréquents travaux manuels, on accroît d’une manière définitive sa puissance, on embellit toute sa vie. En poursuivant ce but, l’École serait sûre de ne pas compromettre l’avenir de ses élèves qui reste pour elle absolument indéterminé.

Sans doute la plupart de ceux-ci seraient ensuite dans l’obligation de se « spécialiser ». Mais ayant été chargés d’énergie et d’enthousiasme durant leurs premières années, ils sauraient résister à la déformation qui menace tous ceux qui par une besogne invariable et monotone doivent gagner leur pain de chaque jour.

L’éducation moderne, comme nous l’avons vu, diffère de celle-là. Le pédagogue actuel, comme celui d’autrefois, a la défiance de la vie pour tout ce qu’elle a de spontané et d’imprévu. Les élèves qu’il a formés ont la mémoire enrichie de procédés commodes et de vérités salutaires ; ils n’ont pas connu l’effort de penser ; ils possèdent la réponse à mille questions qu’ils ne se sont jamais posées. À l’école, l’enfant perd peu à peu sa confiance en lui-même, car, sans cesse, on lui a reproché ses imperfections, on a toujours laissé ses forces inactives, on a constamment contrarié ses vraies tendances et ses vrais besoins. À l’avenir il attendra des autres, de quelque autorité humaine ou divine, la vérité ou le bonheur. Il a fait en classe l’apprentissage de la docilité.