Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/631

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Fabriques de papier. — Existence précaire, travail instable et longues journées, depuis 6 heures du matin jusqu’à 8 heures du soir. Salaire 20 centimes l’heure. Quel temps reste-t-il à l’ouvrière pour élever ses enfants, préparer leur repas, raccommoder et blanchir son linge et le leur ?

Filature à Clichy. — Travail : 6 heures du matin à 7 h. ½ du soir. L’ouvrière est debout toute la journée. Le dimanche on travaille jusqu’à midi, il est donc impossible de remplir ses devoirs de religion. Décidément, il n’y a plus, de notre temps, que les riches pouvant aller à l’église, et ce sera bientôt un luxe de pouvoir remplir ses devoirs stricts de chrétien. (Ici les dames patronnesses catholiques donnent une explication très sensée de la disparition du sentiment religieux. Mieux que les francs-maçons les lois, et la propagande anti-religieuse, le capital et le travail abolissent ou plutôt transportent le sentiment religieux. Par exemple au lieu de Dieu, ce sera la Justice, la Vérité, la Patrie, que l’esclave devra honorer).

Raffineries de sucre. — En été de six heures du matin jusqu’à 10 ou 11 heures du soir. Ce genre de travail se fait dans une atmosphère brûlante ; mais celui qui est l’objet de cette enquête consiste à remplir des caisses de 10 kilos avec des morceaux de sucre cassés à la mécanique. Le salaire est de 5 centimes par cinq caisses — 100 kilos, 10 centimes. L’ouvrière est debout toute la journée ; elle ne peut pas arriver à gagner plus de 2 francs par jour, car pour cela il faut qu’elle remplisse 200 caisses. À quel excès de fatigue doit-elle arriver ! fatigue physique et anéantissement moral. Peut-elle seulement songer à ses devoirs ? Quant à les remplir, quand ? Comment ? à quelle heure ? il y a peu de chômages ; mais quand il y en a l’ouvrière devient ce qu’elle peut.

La manufacture de tabacs. — Les jeunes filles de 13 à 14 ans sont admises à travailler à la manufacture ; mais c’est pour elles une école d’immoralité. Le titre de cigarières, est, à peu d’exceptions près, un brevet d’inconduite. Ce travail a aussi des inconvénients graves pour la santé ; beaucoup de tempéraments ne peuvent s’y faire, et la nicotine rend la maternité très difficile en causant un empoisonnement des enfants dans le sein de leurs mères ; aussi meurent-ils peu après leur naissance.

Voilà quelques extraits d’une enquête qu’on ne peut pas suspecter de mensonge ou d’aggravation. Le caractère « immoral » du travail moderne y apparaît clairement. À qui la faute ? dira-t-on ; singulière question ! L’employeur et le patron sont responsables aux yeux de l’ouvrier et de l’ouvrière, cela va sans dire, car quel serait le recours de l’exploité s’il ne s’adressait ou ne s’attaquait à l’exploiteur ? Mais plaçons-nous à un point de vue plus élevé, et remontons encore la chaîne des causalités ; nous verrons que le patron lui-même dépend de forces qu’il n’a pas créées, en tant qu’individu, principalement la concurrence. « Il n’y a pas deux mois que je causais avec l’un d’entre eux, sincèrement ému de ne payer à une ouvrière que dix-huit centimes de façon pour un pantalon de toile.