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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/166

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forte qui les trouva, avec la simplicité et l’audace de moyens qui caractérisent le génie.

Pour comprendre les procédés de cet homme vraiment providentiel, il faut citer in extenso le témoignage d’un des témoins essentiels de cette affaire, un ouvrier rural, Manuel Sanchez Alvarez, qui fut en relation directe avec le commandant, et paya d’ailleurs cet honneur de vingt mois de détention préventive. On y prend sur le fait et en pleine genèse, la légende de la Mano Negra. On verra par suite de quelles intrigues sept hommes ont été pendus et douze envoyés au bagne où huit survivent encore. Il convient de dire que Manuel Sanchez Alvarez qui fournit par lettre le témoignage écrit qu’on va lire, témoignage corroboré d’ailleurs par beaucoup d’autres, est vivant : il habite Jerez de la Frontera, on peut l’interroger, contrôler ses dires, et le confronter aux témoins qu’il invoque. Au commencement de 1902, il écrivit la lettre suivante au journal Tierra y Libertad, de Madrid.

En 1878, je ne me rappelle plus quel mois, je travaillais dans un vignoble appelé Pago del Tizon. Notre contremaître était alors Fernando Delgado Figurita. À l’heure du déjeuner se présenta un gendarme, gradé, du contingent rural, appelé Pedro Gomez ; par ordre de D. Tomas Perez Monforte, il demanda au contremaître qui il avait comme ouvriers et lui demanda en même temps la liste, qui lui fut remise par Fernando. L’ayant regardée, le gradé Gomez demanda qui était Manuel Sanchez, à quoi Delgado répondit que, souffrant d’une maladie chronique, il était allé se faire soigner à la vigne voisine, où se trouvait une sœur de ce Sanchez, mais qu’il reviendrait bientôt. Quand je fus revenu, le gendarme fixa les yeux sur moi et quand le contremaître dit : « Allons au travail », le gradé me dit : « Vous, Manuel, restez ici » ; ajoutant que par ordre du commandant Monforte, je devais l’accompagner à Jerez, non pas en qualité de prisonnier, mais pour faire une déclaration. Comme je lui répliquais que j’étais disposé à le faire, mais que ma faiblesse serait pour lui une cause d’ennui, étant données les longues heures qu’il me faudrait mettre à faire le chemin, par suite de la fatigue que je ressentirais, il me répondit que quand je me sentirais pris de fatigue, je m’assiérais pour me reposer. Ainsi fut fait et, en arrivant à l’entrée de Jerez, il me dit « Manuel, vous n’êtes pas prisonnier, allez donc en avant jusqu’à l’hôtel Consistorial. » Là je fus introduit auprès du commandant Monforte qui, se levant, me saluant et me tendant la main, me dit : « Je suis heureux de faire votre connaissance. Vous êtes Manuel Sanchez ? J’ai entendu parler de vous déjà… Recevez mes condoléances, car vous voilà devenu tout à fait un cadavre (sic).. ; Vous pouvez, pour le moment, aller vous reposer… Ce soir vous pourrez revenir : nous avons à causer, tous deux, comme de bons amis. » La nuit venue, je me représentai devant Monforte : en entrant dans son cabinet, distrait