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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/186

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l’aimais sans crainte et sans fièvre — jusqu’au jour où j’ai vu qu’on me l’enlevait ! »

Du 11 avril :

« …Le pauvre enfant ne se doute de rien. Dieu veuille le préserver de savoir jamais la triste vérité. Je ferai tous mes efforts, pour ensevelir dans mon cœur mon ridicule amour. S’il le savait, peut-être qu’il en souffrirait et je ne veux pas qu’il souffre. Il faut qu’il soit heureux ; je ne dois pas avoir d’autre but dans l’existence que de travailler à le rendre heureux. J’y réussirai bien avec l’aide de Dieu… Peut-être aussi qu’il en rirait ! Oh ! cette pensée est déchirante !… »

Du 12 ; regarde comme son écriture est tremblée ! Pauvre fille !

« Il a si bien confiance en moi qu’il me prend à chaque instant pour confidente de son bonheur. Ce matin, il m’a dit : N’est-ce pas, qu’elle est gentille ? Te plaira-t-elle comme belle-sœur ; car nous sommes frère et sœur, n’est-ce pas ? Aimes-tu les yeux bleus et les cheveux noirs comme elle les a ? Si tu savais combien je suis heureux, Emmeline. Mais toi, je voudrais que tu te maries aussi ; cela me fait de la peine d’être heureux sans toi. — Le pauvre cher enfant me parlait de sa voix la plus câline et la plus douce : la main qui voudrait caresser blesse parfois !… Je me suis mise à pleurer et j’ai eu beau lui dire que je pleurais de joie, j’ai bien peur qu’il ne m’ait pas crue !… »

Du 14 :

Nous sommes tous les jours en fêtes, dîners, réceptions, présentations aux deux familles. Il faut toujours que je sois là. Je souffre affreusement. On me demande mon avis pour le choix des étoffes ; on me consulte pour la robe de la mariée. Henri m’a prié de l’accompagner chez la fleuriste pour choisir les bouquets qu’il envoie à chaque jour à sa fiancée. »

J’en passe toute une série pour ne pas t’ennuyer. 5 mai :

« Je me sens un peu plus courageuse. Je crois que j’aurai la force d’aller jusqu’au bout. Le mariage a lieu dans dix jours. Que Dieu me donne de l’énergie jusque-là. Après, nous verrons bien… »

14 mai. C’est la dernière lettre qu’elle m’ait écrite, à ce moment là. Ensuite, je suis restée des semaines et des semaines sans recevoir de ses nouvelles.

« C’est demain ! Je suis affolée, j’ai peur. J’ai peur ! surtout de metrahir. Tout le monde rayonne de joie autour detnoi ; il faut que moi aussi je fasse bonne figure. Mais demain ! J’ai peur de me trouver mal à l’église ou d’étouffer ! »