Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/192

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comme il convenait que le fît une élégante jeune fille. Et je devins sans difficulté une petite chatte proprette et souple, — et jolie, je peux bien le dire maintenant sans vanité, n’est-ce pas ? — une petite chatte très vive et remuante à ses moments, mais langoureuse et paresseuse. Ma cousine était très bonne, mais sans beaucoup de plomb dans la cervelle ; à nous deux nous ne faisions pas quelque chose de bien sérieux ! Nous passions notre temps à parcourir les magasins, à recevoir et à rendre des visites ; nous dînions en ville, nous allions au bal. Nous nous occupions aussi de charité parce que cela faisait partie d’une vie mondaine bien organisée, comme la couturière ou la comédie ; mais je ne me rappelle pas avoir eu jamais en visitant les pauvres l’impression qu’ils fussent des personnes comme nous qui souffrent et qui nous sont attachées par les liens fraternels. Il me semblait tout naturel qu’il y eût des pauvres afin que les belles dames fissent à leur petites filles des jupons de tricot et leur portassent quelques aumônes enveloppées de bonnes paroles. Je n’avais pas l’idée d’une existence différente de la mienne, dans laquelle on dût lutter et prendre de la peine ; j’acceptais mon bonheur comme une chose due, — sans étonnement et sans reconnaissance. J’étais partout très fêtée, très adulée, parce qu’on ne me trouvait ni laide ni sotte, toutes les qualités sérieuses qui me manquaient ne sont pas de mise dans la vie de société. J’avais beaucoup de succès au bal. Dans ce temps-là, les jeunes gens étaient très attentifs auprès des jeunes filles… Il paraît que vous avez changé ça, — mon Dieu cela vaut peut-être mieux, à des égards ; mais les manières d’autrefois avaient leur grâce et leur agrément. J’ai reçu force madrigaux en prose et en vers, où j’étais comparée à toutes ces dames de la mythologie, à toutes les étoiles et à toutes les fleurs de la création. Folle que j’étais, je prenais tout cela pour argent comptant, et j’en arrivai bientôt à concevoir de moi l’opinion la plus flatteuse. Je me considérais comme une petite personne tout à fait précieuse et particulière, autour de qui tournait le monde et pour qui rien n’était assez joli. Je me suis mise dans un écrin comme un bijou merveilleux, et je permettais qu’on m’y admirât, mais sans toucher… C’est pour cela que je ne me suis pas mariée. On m’a demandée plusieurs fois ; — jamais ce n’était assez bien. On aurait dit que j’attendais un prince charmant, un fils de roi ou d’empereur, filleul des fées. L’oiseau bleu n’est pas venu ;… tu vois le résultat. Tous les beaux jeunes gens qui me faisaient la cour me semblaient suffisamment gentils pour m’accompagner à la contredanse et tourner les pages de mes romances quand je chantais ; mais c’était tout ! je n’ai jamais eu pour aucun d’eux