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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/583

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qui a donné le plus complètement dans l’erreur morphologique : son œuvre est d’ailleurs le rendez-vous de toutes les erreurs de méthode possible en biologie et l’enthousiasme qu’elle a provoqué dans le monde des naturalistes suffirait à prouver qu’il est temps d’introduire dans l’étude de la vie un langage vraiment scientifique, dépourvu de mots à double sens.

Le point de départ de Weismann, et ce point de départ lui est d’ailleurs commun avec Darwin et Claude Bernard, est que la matière vivante n’a pas de forme par elle-même, mais doit sa forme à des particules invisibles qu’elle contient. Si je ne craignais de manquer de respect aux plus grands maîtres de la science, je dirais volontiers que cette erreur, qui n’a pas de nom spécial, est une erreur logomachique. Elle provient, me semble-t-il, de la croyance a priori à l’identité de tous les protoplasmes ; c’est du moins l’opinion que Cl. Bernard exprime clairement, sans en donner d’ailleurs une seule raison, et pour cause. Si donc tous les protoplasmes sont identiques, puisqu’ils ont des formes différentes, c’est que leur forme tient à quelque chose que nous ne voyons pas et qui est en eux ; c’est ce quelque chose que Darwin a appelé gemmule. Weismann a compliqué les gemmules de Darwin et les a supposées agglomérées en constructions complexes, tellement considérables qu’elles deviennent visibles ; ce sont précisément ces masses qui apparaissent de temps en temps et disparaissent périodiquement dans l’intérieur des cellules. Weismann a fait sur ces particules hypothétiques une série de suppositions extrêmement embrouillées au moyen desquelles il a expliqué ( !) tout à la fois, l’hérédité, la sexualité, l’origine des espèces, etc… Mais il suffit d’y regarder d’un peu près pour voir qu’il a raisonné comme le médecin de Molière au sujet de la vertu dormitive de l’opium, et qu’il n’a rien expliqué du tout.

Il s’agissait de faire comprendre que l’homme est reproduit par un œuf qui est un milliard de fois plus petit que lui. Transportant, par une erreur anthropomorphique bien inutile, la même propriété à la cellule, Weismann a supposé que la cellule est représentée par une particule qui est un milliard de fois plus petite qu’elle, c’est-à-dire qu’il a imaginé pour la cellule un problème aussi complexe que celui qui se posait pour l’homme, mais en même temps il a admis que, pour la cellule, ce problème était très facile à résoudre, ne se posait même pas ; il a supposé ensuite que l’œuf contenait une particule représentative de chacune des cellules du corps de l’homme et que chacune de ces particules connaissait la mission qu’elle avait à remplir au cours