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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/585

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Il serait superflu d’insister sur la stérilité qu’engendre, pour la science, le raisonnement finaliste, mais il n’est pas inutile de rappeler cette chose très curieuse que, pour beaucoup de penseurs, le darwinisme a paru conduire au finalisme. Darwin, nous l’avons vu tout à l’heure, s’est borné à exprimer dans un langage synthétique que « les choses sont comme elles sont et non autrement », mais par la dénomination de plus apte accordée à l’individu qui a persisté dans la lutte, il a pu laisser croire à ceux qui le comprenaient mal (à Flourens, par exemple) que sa sélection naturelle était une sorte de providence choisissant dans les combattants celui-qui devait être le plus apte à survivre. J’ai montré précédemment que le plus apte n’était défini qu’après coup, par le résultat même de la bataille et que, par conséquent, il n’y a là aucun finalisme ; mais voici encore autre chose :

Darwin a conclu de ses raisonnements qu’un caractère quelconque, existant aujourd’hui chez un être quelconque, avait eu son heure d’utilité dans l’histoire de l’espèce ; c’est toujours une conséquence de la forme de langage résumée dans la formule : « la persistance du plus apte ». Et les darwiniens se sont par suite ingéniés à rechercher, à propos de tous les caractères connus de tous les êtres connus, quelle en pouvait être l’utilité présente ou passée ; cela n’a pas toujours été facile et a conduit à des découvertes bien intéressantes, mais ce n’était pas suffisant. Qu’un caractère ait été utile, c’est une raison pour qu’il se soit fixé dans l’espèce, mais ce n’en est pas une pour qu’il se soit produit une première fois, ou bien il faut donner au hasard une bien grande ingéniosité. Dans beaucoup de cas la forme de raisonnement darwinien a donc été identique à peu de chose près, au langage finaliste : Pourquoi avons-nous des yeux ? pour voir, disent les finalistes parce que la faculté a été avantageuse pour les êtres qu’un hasard en a doués une première fois, disent les darwiniens.

Lamarck ne s’est pas contenté du rôle du hasard dans l’explication de l’apparition des organes nouveaux, mais il n’a pas été non plus à l’abri des pièges du langage finaliste parce qu’il a décomposé le fonctionnement des animaux en trois parties conventionnelles parallèles à celles dans lesquelles, nous hommes, décomposons notre fonctionnement dans le langage psychologique ; il a dit : les conditions nouvelles créent de nouveaux besoins chez les êtres vivants, d’où la nécessité pour eux d’agir en vue de la satisfaction de ces besoins. Ce n’est là qu’une faute de langage, mais nous avons vu tout à l’heure à quelles conclusions absurdes ce langage téléologique a conduit Cope, élève de