Aller au contenu

Page:La Vrille - Le journal d’une masseuse, 1906.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
182
LE JOURNAL D’UNE MASSEUSE

Et pour les garder, pour n’être point obligé de les jeter de nouveau à la rue, au froid, à la faim, à la mort, on évacue ceux qui ont un domicile et dont la maladie n’est pas dangereuse. Et chaque jour, il en vient d’autres, des vieux tout blancs, avec des pauvres yeux pitoyables que la détresse a voilés, des jeunes, hâves, maigres, qui crachent le sang et dont la vie s’en va un peu à chaque accès de toux.

Dans les autres salles, dans les autres hôpitaux, c’est la même chose. Il fait si froid, il y a tant de misère… Vaut mieux crever à l’hôpital que dans le ruisseau, pas vrai ! Et les pauvres ruines viennent, implorent pour qu’on les garde jusqu’à la fin, pour qu’on soulage un peu les souffrances d’une longue vie de misère en échange de leur corps voué au scalpel des étudiants…

Et ils n’en jouissent pas longtemps de ce repos, de cette paix de l’hôpital ; ils ont trop souffert, ils sont trop usés, ils sont finis et ils passent… La grande faucheuse, jalouse encore de leur pauvre bonheur, les emporte trop vite et ils s’alignent sur les tables de marbre, froids et rigides, dans l’attente du coup de couteau, sous les regards indifférents ou gouail-