Aller au contenu

Page:La Vrille - Le journal d’une masseuse, 1906.djvu/74

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
66
LE JOURNAL D’UNE MASSEUSE

les quais déserts qui s’estompent dans la nuit, et là-bas, la masse grise des hôtels silencieux derrière lesquels se dresse le Palais d’Hiver où il m’attend. Ah ! tu peux m’attendre longtemps, ivrogne !

Mais pourquoi donc ne pensais-je qu’à lui, qu’à cet être immonde dont la vue seule me répugne ? Pourquoi suis-je sans cesse obsédée par la vision de ce masque grotesquement laid, de ce grand corps lourd et gauche, de ces énormes mains maladroites…

Pourquoi la rougeur me monte-t-elle au front, pourquoi mon cœur bat-il quand je le rencontre. Car c’est une obsession ! En ce moment, je le vois, au Palais d’Hiver, en train de faire tourner maladroitement une gentille princesse ou une frêle marquise dont il écrase les petons sous ses vastes semelles. Je le vois, au buffet, lamper goûlument les verres d’alcool, s’empiffrer de poisson salé et de viandes rouges, et lever largement le coude cependant que de la bière coule, coule sans cesse dans son gosier d’ivrogne…

C’est trop bête, vraiment ! Je ne veux plus penser… Ah ! viens petit journal, causons un peu tous les deux !