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vide ne pourra que recevoir et rejeter ce qu’on y mettra. De là vient que le spécialiste rend les faits tels qu’il les a reçus ; et comme il ne se soucie de la science que pour en parler, il risque fort de la faire dégénérer sous peu en simple commérage scientifique.

Ce n’est pas ainsi que procédait Descartes, le plus grand de nos physiciens. Il jugea bon d’étudier toutes les sciences pour approfondir l’une d’elles. Et dans sa vaste intelligence les connaissances les plus diverses, géométrie et métaphysique, s’étaient unies et presque confondues. Ainsi, sa conception philosophique de l’espace lui suggéra la découverte de la géométrie analytique, et c’est par la considération des attributs de Dieu qu’il fut conduit à la théorie des ondulations.

Et, de notre temps, n’est-ce pas la question toute philosophique des générations spontanées qui a mis notre grand chimiste sur la voie de ses plus admirables découvertes ? Est-ce par l’effet d’un simple hasard que l’auteur des plus belles conceptions de la science contemporaine se trouve être en même temps un philosophe et un lettré ?

C’est qu’on peut, à la rigueur, s’en tenir