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Page:La spécialité — Henri Bergson.pdf/5

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Il se garderait de vous interrompre, car de vos erreurs accumulées se dégage pour lui une grande vérité : il sait. Il a en effet assez pratiqué sa science pour avoir pitié de vous ; il n’a pas assez cultivé les autres sciences pour se rendre compte de ce qu’il a encore à apprendre, et éviter, en restant modeste, qu’on se moque de lui.

Mais voici qui est plus grave. La spécialité, qui rend le savant maussade, rend la science stérile.

Certes, la division des sciences est chose naturelle. À une époque où l’intelligence humaine était encore dans l’enfance, on pouvait, sans trop d’ambition, aspirer à tout connaître. Telle fut l’illusion généreuse de la philosophie des premiers temps : elle se définissait la science des choses divines et humaines. On n’a pas tardé à faire cette découverte désespérante : l’univers est plus vaste que notre esprit ; la vie est courte, l’éducation longue, la vérité infinie ; il faut se consumer en efforts pénibles, tâtonner longtemps pour mettre la main sur une bien petite parcelle de la vérité : encore meurt-on sans l’avoir trouvée ou même entrevue. De là un grand nombre de sciences parti-