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Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/147

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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

rence d’âge qui le séparait aujourd’hui de son amie serait cause qu’un jour, son nouvel amant s’éloignerait d’elle, la repousserait. Il prévoyait qu’habituée à la vie large et facile, sa nouvelle existence avec le peintre, certes plein de talent, mais possédant peu de ressources, serait dure pour elle, lui imposerait de cruels sacrifices. Un jour, elle le regretterait. Il ne dit rien. Le cœur meurtri, l’âme en détresse, le cerveau désemparé, il s’en alla chez lui. Le lendemain, on le trouvait mort dans son garage, tué par le monoxyde de carbone. Accident ou suicide ?

Malgré ce drame qui les affecta tous deux au début de leur liaison, le peintre et son amie vécurent des heures de ravissement, d’ivresse sensuelle. Pour son jeune amant, Alice avait une tendresse maternelle et d’amoureuse. Et à lui, qui avait des sens neufs, elle versait une volupté forte, troublante comme un violent alcool. Grâce à son expérience, elle lui apportait la révélation de la vraie femme.

Ils vivaient modestement. Ils vivotaient. Parfois, ils s’endettaient. Elle était heureuse et elle prodiguait à l’artiste de fortes joies charnelles.

Il travaillait aussi. Il vendit plusieurs tableaux, réalisa une jolie somme. Alors, il voulut faire un voyage à Paris. Il savait qu’il avait besoin de cela. On lui avait dit qu’il avait du talent. Il le savait et il avait foi en lui, mais il voulait voir le talent des autres, recueillir des impressions, voir de ses yeux les productions du moment et aussi les chefs-d’œuvre du passé. Il partit. Pendant un mois, il fréquenta les expositions artistiques, les musées, les salles des marchands de tableaux. Même, il fit la connaissance de quelques artistes et de trois ou quatre écrivains.