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Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/187

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UN HOMME HEUREUX



RENE Rabotte avait commencé à gagner sa vie à l’âge de quatorze ans. Il était entré comme commissionnaire à l’épicerie Péladeau. Afin de se donner une apparence plus âgée, il avait échangé la culotte pour le pantalon. René était le dernier garçon d’une famille de six enfants. Après lui, il y avait une fille, Martine. Son père était maçon. Comme tous les gens de son métier, il ne travaillait pas régulièrement. Lorsqu’il était employé, l’on vivait très bien dans la famille Rabotte. Lorsqu’il chômait, l’on s’endettait et l’on vivait moins bien. Dans les bonnes périodes le père Rabotte donnait parfois le dimanche une pièce de dix ou de vingt-cinq sous à l’un des enfants.

— Tiens, disait-il, vas t’acheter quelque chose.

Et le jeune courait à un petit restaurant et revenait avec un cornet de crème glacée ou des bonbons. Jamais il ne leur dit : Tiens, mets ça de côté et quand tu auras une piastre, tu la porteras à la banque. La famille Rabotte ignorait ce que c’est qu’un compte de banque.

À cette époque, il y avait plusieurs mois que le père était sans ouvrage. Anatole, l’aîné des garçons, apprenait le métier de barbier et gagnait juste assez pour s’habiller,