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Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/196

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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

C’était Mme Aurélier, son chapeau sur la tête et encore enveloppée de son manteau. Elle avait la figure toute bouleversée et paraissait très excitée.

— Il s’est empoisonné avec le gaz du poêle de cuisine, ajouta-t-elle.

Rabotte, sa femme et Mme Aurélier descendirent l’escalier à la course et pénétrèrent dans la maison où l’on respirait une odeur mortelle. Là, dans la cuisine, assis sur une berceuse, la tête penchée de côté et reposant sur la table, tout près du poêle d’où le gaz s’échappait en sifflant, était Aurélier, mort. Précipitamment, Rabotte ferma la clef, arrêtant l’échappement, puis ouvrit en hâte la porte et la fenêtre afin que l’air empoisonné put s’échapper de la pièce.

En homme d’ordre, méticuleux, Aurélier avait vidé ses poches et en avait placé le contenu sur un journal près de lui. L’on voyait là sa montre, son trousseau de clefs, un stylo, quelques pièces de monnaie, un canif, deux billets de tramways et un briquet.

La femme d’Aurélier pleurait et se lamentait.

— Appelez le docteur ! faites venir le docteur ! criait-elle.

Rabotte courut au téléphone.

— Je suis sortie cet après-midi, disait au milieu de ses larmes la femme à sa voisine, puis quand je suis revenue pour le souper, je l’ai trouvé ici, la clef du poêle grande ouverte. L’hypothèque sur la maison est due depuis hier et il n’a pas pu la renouveler. S’il avait pu donner un acompte de cinq cents piastres, ça aurait été possible, mais sans versement on ne voulait rien entendre. Alors, quand il a réalisé qu’il perdait tout ce qu’il avait, il a préféré mourir que de voir la catastrophe.