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Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/224

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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

te et lamentable. Le fermier travaille dur pour payer son hypothèque. S’il a de la chance, il réussira à se défaire du fardeau dont il s’est chargé, à guérir la maladie. Mais souvent, c’est le contraire. Il est en retard pour ses paiements. Sa dette grossit. Au bout d’un certain nombre d’années, le cultivateur est parfois obligé d’emprunter de nouveau. C’est une deuxième hypothèque, à un taux plus élevé. La maladie s’aggrave, la situation devient critique. Il faut rencontrer de gros intérêts. Une malchance arrive. Il faut donner une troisième hypothèque. Pour cela, il faut trouver une garantie additionnelle, un billet promissoire. Alors, on va voir un parent pour lui faire endosser l’effet. Trois hypothèques sur une terre. La maladie est arrivée à sa dernière période. Pas de remède possible. La belle terre que vous aviez achetée à l’âge de vingt-cinq ans, alors que vous étiez plein de courage et d’énergie, vous vous la faites enlever à cinquante, après avoir travaillé, sué, peiné, et vous vous en allez les mains vides, les forces épuisées, le corps usé, le cerveau en détresse, pendant qu’un autre plus jeune recommence à son tour la même expérience.

Le père Mattier était ladre, violent, têtu, injuste, âpre au gain, dur pour lui et les siens, dans son désir d’amasser de l’argent pour payer la terre, faire disparaître l’hypothèque. Il se privait lui et sa famille pour économiser, économiser davantage. Lorsqu’on était à table, il regardait chaque bouchée que ses enfants avalaient et ses regards étaient un reproche muet. Et toujours mal vêtus, en haillons. Il fallait ménager, ménager toujours. Les enfants avaient peu fréquenté l’école et étaient restés ignorants, illettrés.

La famille vivait dans une vieille maison en bois, une vieille maison penchée, de quatre pièces : la cuisine, la salle à manger et deux chambres. Au-dessus, il y avait un gre-