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Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/248

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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

on parle joual et l’on arrange un match pour vingt piasses, du village à la fromagerie, à peu près deux milles.

Ben, le chemin était de glace vive, un beau chemin pour ane course. À trois heures, il y avait ben quarante personnes pour les voir partir. Avec ane musique de guerlots, ils sortent de la cour. Le pére laisse l’autre passer en avant, mais il le suit de près. Ils avaient pas fait six arpents que, tout à coup, v’là un fer qui r’vole sur la route. C’était le cheval de mon gas de Sorel qui l’avait perdu. Trotter sans fer sur la glace vive, ç’aurait été folie. Ben, il était vaillant mon gas, mais pas fou. Il se dit que c’est encore mieux de perdre vingt piasses que de risquer de casser la jambe de son cheval qui valait deux cents piasses comme ane coppe. Alors, il arrête, pis il r’tourne à l’hôtel. Le pére en fait autant. Il s’en va dans la cour. Lui pis Jérémie ils se regardent un moment sans parler, juste un clin d’œil, pis Jérémie demande :

— Il s’est-il rendu loin ?

— À peu près six arpents, que répond le pére.

— Ben, c’est c’que j’calculais, riposte Jérémie.

Alors, le pére lui pousse ane piasse. Jérémie tortille le billet et le serre dans sa blague.

Là-dessus, Ernest repassa à la ronde avec un flacon de gin et des verres. L’on buvait à la mémoire du vieux et chacun faisait son oraison funèbre.

Puis Hector Mouton commence à parler de ses tours de force à Sherbrooke, Valleyfield, Sorel. Il avait levé vingt hommes sur une plate-forme et autres exploits semblables.

— Oui, oui, fait Ludger Morreaux, ancien fermier qui vivait maintenant de ses rentes au village, vous levez