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Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/289

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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

une grosse heure devant lui. L’attente fut longue, ennuyeuse.

Lorsque le train arriva enfin et qu’il pénétra dans le wagon, Deval aurait cru entrer dans une chambre mortuaire, car à deux exceptions près, tous les stores des fenêtres étaient baissés. La grande majorité des voyageurs paraissait avoir la haine du soleil. De chaque côté de la voie ferrée, les montagnes offraient un merveilleux spectacle. Le feuillage pourpre des érables était rendu encore plus éclatant par le contraste formé par la masse d’un vert sombre des sapins et des pins. Les feuilles des bouleaux et des trembles avaient des tons d’or éblouissants. Mais tous ces gens à l’allure lourde, écrasés sur leurs sièges étaient aveugles aux beautés de la nature. Ils avaient l’air morne, hébété, endormi des paroissiens au prône le dimanche, dans certaines campagnes.

Le train roulait et Robert Deval songeait à des choses. Il revivait les années de sa longue liaison avec Louise. Tous les souvenirs mauvais lui revenaient comme des noyés pourris, fétides et fangeux qui seraient remontés de la vase à la surface de l’eau. Ils lui empoisonnaient l’esprit. Continuellement des mensonges et des trahisons. Et cela durait depuis quinze ans. La rupture ? Il s’en savait incapable. Il était l’esclave de cette chair damnée, impuissant à dompter les désirs qu’il avait de cette femme. Même après les abandons, il était retourné à elle lorsqu’elle avait bien voulu le reprendre et il avait accepté toutes les humiliations qu’elle lui avait fait subir. Il avait besoin d’elle comme le morphinomane de sa drogue. Il ne pouvait se passer d’elle, de son sexe. Son sexe : l’auge dans lequel les pourceaux à face humaine s’étaient gorgés de volupté, avaient