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Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/292

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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

quarts d’heure d’efforts, il atteignit enfin au sommet de la montagne, sur un plateau de roc. Un énorme bloc de pierre arrondi, venu là comment ? depuis combien de millions d’années ? était en équilibre sur cette table. La tête pleine de problèmes, Deval le contempla longuement. Puis, sa curiosité disparut. Il sentait plus vivement son mal engourdi pendant l’ascension du mont. Il revivait la promenade de l’avant veille au soir, sur la route noire, déserte, il entendait de nouveau l’étrange récit de Louise. Les pas de l’homme passant et repassant devant la maison de son amie lui résonnaient dans les oreilles, et surtout la voix niaise, de ce simple d’esprit que Louise avait songé à prendre pour mari. Et à cette pensée, il était rempli d’un insurmontable dégoût.

Deval était debout près de l’énorme rocher arrondi et il regardait à ses pieds devant lui la forêt pourpre et or, flamboyante dans le glorieux soleil d’automne. Ah, que la terre était belle mais que la vie était sale ! Il en avait assez. Il fallait en finir, se libérer. Pour ramasser son courage, pour avoir un exemple à suivre, il appuya son épaule au rocher, s’arcbouta, tendit les muscles, fit un effort. Miraculeusement tenu en équilibre pendant des milliers de siècles, le bloc de granit bougea, oscilla, pencha, tourna lentement sur le plan légèrement incliné.

Entraîné par la force irrésistible de sa masse, il roula sur la pente et, dans un bruit d’arbres cassés, arrachés, de pierres fendues, brisées, il tomba avec un fracas de tonnerre à deux cents pieds plus bas, après avoir tout démoli sur son passage. Nerveux, frémissant, Deval entendit le formidable choc de la pierre frappant la pierre et l’écho qui retentit dans la solitude. Alors, résolu à s’évader de la vie de misères, de souffrances et de hontes dans laquelle