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Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/46

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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

— J’mange en cochon ! j’mange en cochon ! rugit Phirin. J’mange à ma faim et tu vas te taire.

Ce disant, tout courroucé, il se leva d’un bond de sa chaise, faisant à demi basculer la table et renversant la terrine de lait qui inonda le plancher. Debout, il empoigna sa belle-mère par le chignon et la levant de force, la traîna autour de la cuisine. Mélanie hurlait, lançait des injures. Lorsque le gars Phirin l’eut laissée assise par terre, elle se releva en fureur et se mit à insulter son mari.

— Vieux sans cœur ! Laisser maltraiter sa femme par une brute ! Vous êtes deux salauds.

Marcheterre tenta de répondre, mais sa femme exaspérée criait plus haut que lui et l’accablait d’invectives lui et son fils. Le fermier Marcheterre était d’un caractère prompt. Il perdit patience. D’un saut, il fut debout, ouvrit la porte et saisit une assiette.

— Tiens ! Et il la lança sur la clôture de pierre, de l’autre côté de la route où elle se brisa en morceaux.

— Tiens ! Une autre assiette vola en éclats. Les tasses et les soucoupes sur la table prirent le même chemin, eurent le même sort.

Pan ! pan ! la vaisselle se brisait sur le mur en pierre. Suffoquée, pâle d’indignation, les deux mains pendantes de chaque côté de son tablier carreauté bleu, Mélanie, comme paralysée, changée en statue, le regardait, les yeux agrandis. On lui démolissait ses assiettes. Ah bien, le Marcheterre allait voir à qui il avait affaire.

Comme l’homme avait fait table nette et qu’il ouvrait l’armoire pour prendre de nouvelles munitions pour son bombardement, Mélanie s’élança au dehors, courut au carré de tabac à côté de la maison et se mit a arracher les plantes, les lançant à droite, à gauche, par-dessus sa tête. Enragé à