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Page:Laboulaye - Histoire politique des États-Unis, tome 3.djvu/238

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que cet homme avait deviné l’Europe. » Hamilton avait fait quelque chose de plus merveilleux. Avec Franklin et Washington, il avait vu et clairement vu l’avenir de l’Amérique. Il n’est pas un des grands politiques de l’Europe qui ne s’y soit trompé, et qui ne s’y trompe encore aujourd’hui.

Sa situation au congrès ne fut pourtant pas ce qu’on aurait pu attendre d’un homme tel que lui. Il avait été frappé des dangers de la démagogie ; il était, comme Washington, un aristocrate au sens antique ; il voulait fonder la liberté sur la sagesse et la modération, deux vertus qui se trouvent rarement dans la foule ; il avait en horreur ces tribuns qui agitent le peuple au profit de leur misérable ambition. Ce qu’il désirait donc par-dessus tout, c’était un pouvoir exécutif fermement constitué, et un conseil national ou sénat, qui fût une espèce d’aristocratie. Son modèle, son idéal était quelque chose de semblable au grand édifice de la constitution anglaise. Il s’imaginait qu’il y aurait avantage pour l’Amérique à ce que le président fût nommé pour aussi longtemps qu’il se comporterait bien, que le sénat fût nommé de même. En quoi Hamilton se trompait. Il eût emprisonné dans un corset de force un pays qui avait besoin de grandir. Un président à vie aurait fini par devenir une espèce de roi, un sénat à vie n’aurait pas satisfait à la mobilité qui est de l’essence même de la bonne démocratie.

Hamilton se trompait avec les intentions les plus droites ; mais ses ennemis profitèrent de son erreur. Les préjugés qu’on avait contre lui se réveillèrent plus