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Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/123

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où Celse se décide à la formuler, il adoucit à peine le ton dédaigneux qu’il a gardé dans tout l’ouvrage[1]. Le souci d’aménager un concordat avec ses adversaires le préoccupe beaucoup moins, semble-t-il, que la volonté de les dégoûter de leur foi en en soulignant à traits répétés l’absurdité scandaleuse[2].

Il ne manquait d’ailleurs ni de verve, ni de mordant. Qu’on en juge par un ou deux morceaux seulement. Voici le tableau qu’il trace de la propagande chrétienne parmi les esprits débiles ou encore mal formés, les seuls, à son gré, qui puissent s’y laisser séduire :

Nous voyons, dans les maisons des particuliers, des cardeurs, des cordonniers, des foulons, des gens sans aucune espèce d’éducation ni de culture ; ils se gardent bien d’ouvrir la bouche tant que sont là les maîtres, qui ont de l’âge et du jugement ; mais, dès qu’ils peuvent prendre à part des enfants ou quelques femmes aussi dénuées de bon sens qu’eux-mêmes, alors ils se mettent à étaler leurs merveilles… Il ne faut pas écouter le père ni croire ce que disent les précepteurs : c’est à eux qu’on doit obéir. Les autres sont des radoteurs, des cerveaux fêlés, perdus de sots préjugés, et qui ne savent ni concevoir le bien véritable, ni le réaliser : eux seuls, ils ont le secret du bien-vivre ; les enfants, s’ils les croient, seront heureux, et par eux le bonheur viendra dans la maison… — Si, pendant qu’ils parlent de la sorte, survient un des précepteurs, ou quelque personne de poids, ou le père lui-même, les plus circonspects prennent peur et s’égaillent ; mais de plus effrontés ne laissent pas d’exciter les enfants à la révolte. Ils leur chuchotent, par exemple, qu’en présence de leur père ou de leurs maîtres ils ne peuvent ni ne veulent rien leur apprendre de bon, pour ne pas s’exposer à la sottise et à la grossièreté de ces êtres profondément cor-

  1. Un critique, W. Völker, a remarqué qu’on retrouve dans les procès des chrétiens cette alternance de feinte douceur et de brutalité : par exemple, dans le Martyre de saint Polycarpe, VIII, 2. Ce mélange d’astutia suadendi et de duritia saeviendi, Tertullien le signalera dans son Apologétique, § xxvii.
  2. Telle est l’intention qu’Origène lui prête (VI, 74), et, je crois, avec équité.