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Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/48

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explique la magnifique sécurité d’une conscience vraiment libre, en présence des menaces d’un tyran :

… Si nous avions à l’endroit de notre fortune, de nos enfants, de notre femme, les sentiments de cet homme [il s’agit d’un homme affrontant un tyran, sans tenir absolument ni à vivre, ni à mourir] à l’endroit de son corps ; ou si simplement, par égarement et par désespoir, nous nous trouvions dans une disposition d’esprit telle qu’il nous fût indifférent de les conserver ou de ne pas les conserver ; si, à l’exemple des enfants qui, en jouant avec les coquilles, ne se préoccupent que du jeu et ne s’inquiètent guère des coquilles, nous étions aussi indifférents aux objets eux-mêmes, sans autre pensée que de jouer avec, et de nous en servir, — qu’aurions-nous encore à craindre d’un tyran ? Qu’aurions-nous à redouter de ses gardes et de leurs épées ? Et quand la folie chez un homme ordinaire, quand l’habitude chez les Galiléens (καὶ ὑπὸ ἔθους οἱ Γαλιλαῖοι), suffisent à donner cette disposition d’esprit, le raisonnement et la démonstration ne pourraient apprendre à personne que c’est Dieu qui a tout fait dans le monde, et que dans son ensemble il l’a fait indépendant et sans autre fin que lui-même, tandis que les parties n’en existent que pour les besoins du tout ? Les autres êtres sont hors d’état de comprendre cette grande administration ; mais l’animal raisonnable a les moyens de démêler à la fois qu’il est une partie du tout, et telle partie ; et qu’il est convenable que les parties subissent la loi de l’ensemble[1].

Épictète avait donc été témoin de la résistance héroïque opposée par les martyrs chrétiens aux sollicitations et aux menaces de leurs juges. Lui qui s’écriait : « Montrez-moi un stoïcien, si vous en avez un ! Où et comment le feriez-vous ? Vous me montrerez, il est vrai, des milliers d’individus parlant le langage du stoïcisme… Où est donc le stoïcien ?… Montrez-moi un homme qui soit à la fois malade et heureux, mourant et heureux, exilé et heureux, flétri et heureux[2]… », n’aurait-il pas dû se féliciter qu’un tel spectacle, « refusé à sa vieillesse », lui tombât enfin sous

  1. Entret. IV, 7, 6 : trad. Courdaveaux, Paris, 1908, p. 312 (retouchée).
  2. Entr. II, 19, 22-27.