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Page:Lacerte - L'ombre du beffroi, 1925.djvu/86

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L’OMBRE DU BEFFROI

— Marcelle… murmura-t-il.

— Marcelle est devenue paresseuse, répondit, en riant, Dolorès. J’ai bien envie d’aller la réveiller !

— Ne te dérange pas, Dolorès ; je vais envoyer Rose prendre de ses nouvelles.

Il posa le doigt sur un timbre, et dit à Rose, qui vint répondre :

— Monte donc à la chambre de Mlle Marcelle. J’espère qu’elle n’est pas… malade !… Si elle est debout, dis-lui que nous l’attendons pour déjeuner.

— Bien, Monsieur ! répondit Rose, tandis qu’une expression d’inquiétude se peignait sur son visage…

La même pensée était venue à Henri Fauvet, Mme de Bienencour, Gaétan et la servante : Marcelle avait-elle encore pris de la morphine ?…

Sans trop s’en rendre compte, chacun écoutait les pas de Rose s’éloigner de la salle à manger, parcourir le corridor, monter l’escalier en spirale, puis atteindre le second palier… Non pas qu’on fut réellement inquiet… Cependant, il s’était fait un grand silence, et on avait bien hâte de voir apparaître le radieux visage de Marcelle…

Rose devait être rendue dans la chambre à coucher de Marcelle maintenant…

Soudain, on entendit des pas précipités… Iris Claudier laissa choir sur le plancher un petit ornement en faïence, qu’elle avait tenu à la main, sans trop s’en apercevoir. Le bruit produit par ce bibelot tombant et s’émiettant sembla donner à tous un choc nerveux.

— Maladroite que vous êtes ! s’écria Dolorès, à Iris. Ce joli ornement… Marcelle y tenait tant !

Pourquoi Dolorès disait-elle ; « Marcelle y tenait tant », plutôt que : « Marcelle y tient tant » ? se demanda Iris Claudier ; avait-elle le pressentiment de ce qui allait arriver ?… de ce qui était arrivé, plutôt ?

Les pas précipités s’approchaient… Iris savait si bien ce qui allait se passer ! Ce serait un drame, une tragédie, à faire frémir… Déjà, elle voyait arriver Rose, toute excitée, pâle, échevelée, folle de douleur, et annonçant à tous qu’elle ne pouvait éveiller Mlle Marcelle ; que celle-ci était froide et rigide, que son cœur ne battait plus…

La porte de la salle à manger fut ouverte précipitamment… et Marcelle entra, presque courant, mais souriante et radieuse, se jeter dans les bras de son père.

— Petit père ! fit-elle. Moi qui aurais voulu être la première levée et descendue, ce matin ! Grondez-moi bien fort, pour ma paresse ; je l’ai mérité !

— Ma Marcelle ! Ma chérie ! dit Henri Fauvet.

— Ma bien-aimée ! murmura Gaétan.

— Voyez donc ! s’exclama Dolorès, soudain, Mlle Claudier s’est évanouie !


CHAPITRE VII

ACCUSATIONS


Eh ! oui ! Pour la première fois de sa vie, Iris Claudier avait perdu connaissance.

Quoique personne de ceux qui étaient présents n’aimât la jeune fille, tous s’empressèrent autour d’elle, afin de lui donner des soins, et au bout de quelques instants, on la vit ouvrir les yeux.

— Eh ! bien, Iris ! fit Mme de Bienencour.

— Je… Je n’ai pas dormi de la nuit, dit Iris. Le tocsin… Je vais me retirer dans ma chambre ; je…

— Si vous le désirez, je monterai avec vous ? offrit Marcelle, en tendant la main à l’ex-secrétaire de sa marraine.

— Non ! Non ! s’écria Iris.

Ses yeux se posèrent, avec un certain effroi sur la fiancée de Gaétan, tandis qu’une pâleur mortelle se répandait sur son visage. La fille de Henri Fauvet avait-elle une vie enchantée ?… Ne l’avait-elle pas vue, la nuit précédente, boire, jusqu’à la dernière goutte, la limonade empoisonnée ?… Comment se faisait-il alors que…

— Je monterai seule, dit-elle, d’une voix tremblante.

— Prenez, d’abord, un peu de café, Mlle Claudier, conseilla Henri Fauvet, en présentant une tasse à la jeune fille.

— Merci, M. Fauvet ! répondit-elle.

Ayant avalé le liquide, elle monta dans sa chambre, dont elle ferma la porte à clef.

Nous n’essayerons pas de décrire les émotions par lesquelles passa la misérable créature ; nous dirons que celles de l’étonnement et de l’effroi prédominaient… Et, cette fiole vide de morphine, portant l’étiquette du pharmacien de Québec !… Il la lui fallait cette preuve du crime qu’elle avait médité, puis préparé ; il la lui fallait, sans retard ! Elle était seule, sur le second palier ; rien ne lui serait plus facile que de se glisser dans la chambre de Marcelle et de s’emparer de cette fiole.

Mais, Iris s’aperçut vite d’une chose ; c’est que Mme Emmanuel allait et venait, dans le corridor. C’était jour de ménage et la servante travaillait dans les chambres à coucher. Comment pénétrer dans celle de Marcelle et enlever la fiole vide, avant qu’elle fut trouvée par l’un des domestiques ?…

— Heureusement, se dit Iris, c’est Mme Emmanuel et non Rose qui fait le ménage dans la chambre de Mlle Marcelle, vous savez cette chère Mlle Marcelle prend de la morphine, et elle doit chercher, sans cesse, la fiole contenant cet anesthésique… Il faut que je trouve un prétexte pour éloigner Mme Emmanuel, quand ce ne serait que le temps nécessaire pour m’emparer de… ce que j’ai, si imprudemment… oublié sur la petite table. Allons !

Ouvrant sa porte, elle se dirigea vers la chambre de Marcelle. Oui, la servante était là ; elle venait d’ouvrir toutes grandes les fenêtres, avant de procéder au ménage.

Mme Emmanuel, fit Iris, en bégayant un peu, je… je ne me sens pas très bien… Je…

La brave femme n’aimait guère Iris, mais, à la vue de son visage décomposé, prise de pitié, elle accourut lui offrir une chaise, puis elle éventa la jeune fille vigoureusement, avec un journal qu’elle trouva à portée de sa main.

— Je vais aller chercher un peu de cognac, en bas, Mlle Claudier, dit-elle. Vous avez l’air souffrant et…

— Non ! Non ! Pas de cognac, Mme Emmanuel ; un peu d’eau seulement.

— Tout de suite, Mlle Claudier ! Je viens justement de monter de l’eau fraîche dans la chambre de M. de Bienencour ; je vais vous en apporter un verre.