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Page:Lacerte - L'ombre du beffroi, 1925.djvu/88

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L’OMBRE DU BEFFROI

forêt, à une assez grande distance d’ici… Si vous ne me croyez pas, regardez M. Le Briel ; voyez-le rougir et pâlir, tour à tour !…

— Mon Dieu ! s’exclama Henri Fauvet.

— Ni lui, ni Mlle Fauvet ne pourrait nier ce que j’affirme ; d’ailleurs, cachée derrière un rocher, j’ai tout vu, tout entendu… Mlle Fauvet confectionnait un bouquet de muguets, ses fleurs préférées, tandis que M. Le Briel, assis à ses pieds, lui parlait d’amour.

— Menteuse ! Menteuse ! cria Dolorès.

— C’est la vérité que je vous dis ! affirma Iris. De l’endroit où je me tenais cachée, j’ai aussi entendu M. Le Briel assigner un rendez-vous à Mlle Fauvet, pour la nuit suivante, à la Cité du Silence, rendez-vous qu’elle a accepté.

— Vous tairez-vous, méchante créature ! tonna Henri Fauvet. Attaquer ainsi le caractère de ma fille !…

— Mon Dieu, M. Fauvet, répondit Iris, si vous ne me croyez pas, demandez à M. Le Briel si je dis vrai ou non. Demandez-lui si lui et votre fille n’ont pas passé une nuit ensemble, à la Cité du Silence.

Henri Fauvet jeta les yeux sur Raymond ; celui-ci était blanc comme un mort. Il regardait Marcelle, mais ne proférait pas un mot.

— Vous avez entendu ce qu’a dit cette… personne, M. Le Briel ? demanda le père de Marcelle. Répondez !

— Tenez, demandez plutôt au Docteur Carrol, M. Fauvet, dit Iris, avec un rire méchant. Si je ne me trompe pas, et je ne crois pas me tromper, il les a vus, tous deux, cette nuit-là.

Mlle Claudier, dit le médecin, en se levant, vous êtes une indigne créature !

— Ce n’est pas répondre, Docteur Carrol ! dit Henri Fauvet. Avez-vous, oui ou non, vu ma fille… ma fille, une nuit, à la Cité du Silence, en compagnie de M. Le Briel ? Répondez, s’il vous plait !

— Monsieur Fauvet… commença Raymond.

— Silence ! tonna Henri Fauvet. Docteur Carrol, reprit-il, je vous somme de parler !

— Oui… je les ai vus, balbutia le médecin.

— Et vous ne m’en avez rien dit !… Vous, qui avez des filles, vous qui… Et vous, M. Le Briel, vous en qui j’avais toute confiance !… Et Marcelle, mon unique enfant, mon seul trésor sur terre, et que je croyais aussi pure que les anges… Ah ! soyez…

— Silence ! À mon tour de vous ordonner de vous taire, M. Fauvet ! cria le Docteur Carrol.

— Comment, vous osez m’ordonner de me taire, vous, Docteur Carrol, vous l’ami traître qui…

— Oui, j’ose !… Sous l’impulsion de la colère, il arrive parfois qu’on dit des choses qu’on regrette amèrement, ensuite.

Aux premières paroles d’Iris Claudier, Raymond s’était approché du canapé, sur lequel Marcelle s’était affaissée. Dolorès était assise tout près de son amie et l’entourait de ses bras. Mme de Bienencour, debout, non loin du Docteur Carrol, pleurait tout bas. Gaétan, les bras croisés sur sa poitrine, le visage décomposé, regardait Marcelle et Raymond Le Briel avec des yeux tragiques. Soudain, il s’avança auprès du canapé.

— Marcelle, dit-il, d’une voix entrecoupée de sanglots, si vous aimiez M. Le Briel, pourquoi ne me l’avez-vous pas dit ?

On vit remuer les lèvres de la jeune interpellée, mais pas un son ne s’échappa de sa bouche.

— Souvenez-vous du soir des tableaux vivants, reprit Iris, lorsque M. de Bienencour a (accidentellement, nous voulons bien le supposer) blessé de son épée M. Le Briel. Quelle scène !… Puis…

— C’est assez, Iris Claudier ! ordonna Mme de Bienencour. Pour une raison ou pour une autre, tu as toujours détesté Mlle Fauvet, et tu guettais cette occasion de l’accuser, devant tous. Tu n’es qu’une misérable !

— Que m’importe ce que vous me dites, Mme de Bienencour ! répondit Iris, en haussant les épaules. Vous essayez de défendre votre filleule ; mais…

— Malgré tout, j’hésite à croire ce que vient de nous dire cette vile créature ! reprit Mme de Bienencour, en désignant Iris. Il y a ici des choses étranges, des complications mystérieuses, je l’avoue ; mais Marcelle est innocente de tout blâme, j’en jurerais ! Ah ! ajouta-t-elle, en sanglotant, qui donc éclaircira ce mystère ?

— Moi ! fit une voix, soudain.


CHAPITRE VIII

LE DRAME DE JADIS


La porte de la bibliothèque venait de s’ouvrir, et une jeune fille d’une extraordinaire beauté, aux cheveux d’or, aux yeux violets, aux traits délicats, le portrait vivant de Marcelle, apparut sur le seuil.

— La vision ! La vision ! cria la fiancée de Gaétan de Bienencour, et aussitôt, elle s’évanouit.

Henri Fauvet, le visage très pâle, les yeux dilatés, les lèvres entr’ouvertes, regardait la vision, et un tremblement nerveux l’agitait, de la tête aux pieds. On eut pu l’entendre murmurer un nom ; « Ondine » ! Mme de Bienencour était comme pétrifiée. Le bras tendu, elle désignait l’inconnue. Dolorès, tout en prodiguant des soins à Marcelle, regardait avec des yeux à la fois étonnés et effrayés celle qui venait de pénétrer dans la bibliothèque. Gaétan et le Docteur Carrol paraissaient, eux aussi, excessivement surpris et leurs yeux allaient rapidement et constamment de la vision à Marcelle, qui revenait lentement de son évanouissement. Quant à Raymond Le Briel… Eh ! bien, son attitude était étrange, car, quoique son visage, même ses lèvres fussent pâles, il… souriait.

Iris, à l’apparition de l’inconnue, avait crié, puis, hâtivement, elle s’était dirigée vers la porte, avec l’intention évidente de quitter furtivement la bibliothèque. Mais quelqu’un s’était placé sur son chemin ; Raymond Le Briel, qui, toujours avec un sourire énigmatique sur les lèvres, lui dit :

— Pas si vite ! Pas si vite, Mlle Claudier ! Attendez, je vous prie ! Ce n’est que le prélude du drame, dont vous venez de rendre si bien le premier acte.

À la course, il alla fermer les deux portes de la bibliothèque, puis ayant mis les clefs dans sa poche, il se plaça debout, non loin de la jeune inconnue.

— Qui… Qui êtes-vous ? parvint à balbutier