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Page:Lacerte - L'ombre du beffroi, 1925.djvu/9

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L’OMBRE DU BEFFROI

— Et vous faites bien ! s’écria Mme de Bienenoour.

— On me dit que vous avez passé une assez bonne nuit, Mme Fauvet ? demanda le médecin.

— Oui ! Oui ! répondit Ondine. Mais, ce matin, je souffre horriblement. Oh ! ma tête ! ma tête !

La morphine tranquillisa la jeune femme ; mais, vers le soir, elle en réclama une nouvelle dose, à grands cris… Et on lui en donna…

Ce fut le prélude d’une tragédie que cette attaque de névralgie qu’eut Ondine. Plusieurs jours s’étaient écoulés. Le médecins avait discontinué ses visites, considérant que sa malade était guérie ; cependant, chaque soir, Ondine devenait nerveuse et agitée, puis, aussitôt en sûreté dans sa chambre à coucher, elle prenait une dose de morphine et s’endormait.

Une nuit, Henri eut le frisson, et craignant que cela lui jouât un mauvais tour, il alla trouver sa femme, afin de lui demander de faire chauffer un peu d’eau et lui préparer une dose de cognac. Or, Ondine dormait profondément, si profondément même que son mari ne parvint pas à l’éveiller. Pourtant il n’eut pas le plus léger soupçon. Il alla frapper à la porte de chambre de Rose.

— Rose ! appela-t-il.

Aussitôt, la fille de chambre se leva, elle jeta un kimono par-dessus sa jaquette et ouvrit la porte.

— Monsieur ! s’écria-t-elle. Madame serait-elle malade ?

— Non, Rose ; c’est moi qui ai le frisson… Je n’aime pas à vous déranger dans votre sommeil ; mais, Mme Fauvet dort si profondément que je n’ai pu l’éveiller.

— Ah ! fit Rose. Ah !

Elle jeta un regard scrutateur sur Henri Fauvet. Elle savait bien, elle, ce qui se passait dans cette maison !

À quelque temps de là, Henri revenant d’une expédition, un soir plus tôt qu’il était attendu, trouva sa femme dormant d’un sommeil dont il ne put la tirer. Les deux servantes étant couchées, il envoya V.P. chercher à la course, le Docteur Nippon.

Quand le médecin arriva, Henri alla lui ouvrir.

— Docteur, dit-il, ma femme est malade… et je ne sais ce qu’elle a… Elle dort d’un sommeil qui ne me semble pas naturel, et… je suis très inquiet. Dans l’état où elle est, tout peut prendre un caractère grave, je crois.

— C’est singulier ! dit le médecin.

— Je ne vous cacherai pas que je suis fort inquiet au sujet de ma femme, Docteur, reprit Henri Fauvet. Depuis quelque temps… depuis qu’elle a eu cette attaque de névralgie pour laquelle vous l’avez soignée, elle est souvent soit triste, soit excessivement gaie ; je crains que ses nerfs ne soient dans un déplorable état.

Des larmes coulèrent sur les joues du mari d’Ondine ; il aimait tant sa chère femme !

— Que votre domestique me conduise à la chambre de Mme Fauvet, sans retard ! dit le médecin. Et… je désire être seul, s’il vous plaît.

— Vous me direz franchement ce qu’il y a, n’est-ce pas, Docteur ? implora Henri Fauvet.

— Je vous le promets, répondit le Docteur Nippon.

Le médecin ne fut pas longtemps absent. Quand il revint dans le corridor où Henri l’attendait anxieusement, son visage était grave.

— Ma femme ?… demanda le mari d’Ondine.

— Veuillez me conduire dans votre étude, M. Fauvet ; j’ai à vous entretenir tout particulièrement, répondit le médecin, d’une voix qui tremblait légèrement.

— Mon Dieu ! Qu’y a-t-il ? cria Henri Fauvet, aussitôt qu’il eut introduit le médecin dans son étude.

— Monsieur Fauvet, dit le Docteur Nippon, il m’en coûte de vous darder au cœur, pour ainsi dire ; mais j’ai promis de ne rien vous cacher concernant Mme Fauvet… Votre femme, M. Fauvet, je n’ai pu, moi non plus, l’éveiller : elle dort, sous l’effet de la morphine…

— De la morphine !… Mais… elle aura été souffrante et… Je vais faire lever Rose ; elle me dira si…

— C’est parfaitement inutile, M. Fauvet ! Il y a des signes auxquels nous ne saurions nous tromper, nous médecins… Mme Fauvet est devenue… morphinomane.

— Morphinomane ! Ma femme ! Mon Ondine !

— Dieu sait si vous avez mes sympathies, M. Fauvet ! Essayez de faire entendre raison à Mme Fauvet. Essayez surtout de vous emparer de la prescription (la mienne, hélas) ! sans laquelle elle ne pourrait se procurer ce… poison. Moi, je ne puis rien, rien !

C’était un homme bien découragé que le Docteur Nippon laissa dans son étude au Nid, ce soir-là. Pauvre Henri ! Il pleura comme un enfant.

Il essaya de suivre les conseils du médecin ; c’est-à-dire de s’emparer de la prescription, puis, de faire entendre raison à Ondine. Ce fut en vain. Il eut même recours à Rose pour lui aider, car, vite, Henri Fauvet s’aperçut que la fille de chambre savait à quoi s’en tenir au sujet de sa jeune maîtresse. Elle ne l’en aimait pas moins pour cela, et elle eut donné beaucoup pour voir la jeune femme surmonter son appétit pour la morphine.

— Ça ne sert à rien de chercher cette prescription, Monsieur, dit-elle à Henri. Je l’ai cherchée, et encore… inutilement.

— Que faire, Rose ? Que faire ?

— Ah ! si je le savais ! répondit Rose. Il n’y a qu’une chose à faire : c’est de lui parler à Mme Fauvet et lui dire…

— Je puis toujours essayer, dit Henri en éclatant en sanglots.

Il parla sérieusement à Ondine, lui faisant comprendre qu’il était encore temps, pour elle, de surmonter cet appétit, qui finirait par la conduire à la ruine, à la folie, puis à la mort. Ondine pleura et promit tout ce que son mari lui demandait… Ce soir-là, elle prit une dose de morphine tellement forte qu’elle ne put se lever que dans l’après-midi du lendemain.

Le malheur avait fondu sur les Fauvet ; un malheur si grand qu’il serait difficile d’en imaginer un autre qui pourrait lui être comparé.


CHAPITRE IV

les jumelles


Il y avait près d’un an que Henri et Ondine étaient mariés.