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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/29

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LE BRACELET DE FER

son fiancé-aventurier… Demain, je commencerai mon petit apostolat, puis, je finirai bien par découvrir quelque chose au préjudice de M. Paul Fiermont !

Ces pensées d’Anatole Chanty n’ont pas lieu de surprendre, car il haïssait Paul Fiermont ; tout d’abord, parce qu’il s’était fait aimer de Réjanne, ensuite, à cause de la supériorité qu’avait sur lui « l’aventurier ».

Quoique Paul eut l’occasion de rencontrer assez souvent Anatole, jamais il n’avait ressenti vis-à-vis du cousin de sa fiancée autre chose qu’une certaine tolérance, et il n’était pas du tout surprenant que ce garçon (Anatole) au visage féminin, à la voix aigrelette, eut inspiré plutôt du mépris au fiancé de Réjanne. Jamais il ne l’appelait autrement que : « Monsieur Chanty », ce qui obligeait Anatole d’appeler Paul : « Monsieur Fiermont ». Or, on se nomme par son nom de famille, sans le préfixe « Monsieur » entre hommes, généralement ; mais, ciel ! Paul eut été tenté plutôt d’appeler Anatole « Mademoiselle Chanty » ; ce « petit garçon à sa maman » qui ne prenait aucun plaisir aux sports, qui ne savait pas monter à cheval, etc, etc. nous l’avons dit déjà, n’inspirait à Paul qu’une méprisante tolérance.

Répétons-le, Anatole haïssait Paul, à cause de la supériorité de celui-ci sur lui. Il était jaloux des qualités du fiancé de Réjanne, de son incontestable popularité, aussi bien parmi les jeunes gens que parmi les jeunes filles.

— Patience ! se disait-il, au moment de s’endormir. Demain, je parlerai à Réjanne… je lui ouvrirai les yeux à ma cousine ; cela je me le promets !

Mais le lendemain, la jeune fille était trop occupée d’une fête champêtre qu’elle était à organiser et qui devait avoir lieu dans deux jours, pour avoir le temps de prêter l’oreille aux propos de son cousin Anatole.

Chapitre X

LES CONCOURS


Le soleil se leva radieux, le matin de la fête champêtre.

Tout était prêt, et il n’y avait pas de doute que ce serait un succès, sur toute la ligne.

À cause des occupations de sa fiancée, Paul ne la dérangea pas, ce matin-là, et il fit seul sa promenade à cheval. À quatre heures précises de l’après-midi, il avait promis d’être à La Solitude, pour prendre part à la fête que la jeune fille avait préparée avec tant de joie et pour laquelle elle s’était donné tant de peine

Près de cent invitations avaient été lancées pour la fête champêtre, et il était presque certain que peu manqueraient de s’y rendre.

Quoique les invitations eussent été faites pour quatre heures de l’après-midi, il était à peine trois heures que des voitures remplies de monde commencèrent à arriver. Paul n’ayant pas encore fait son apparition, c’est Anatole Chanty qui, naturellement, aidait Réjanne à recevoir, ce qui suscitait quelques commentaires.

— On croirait que c’est M. Chanty le fiancé ! dit, en riant, une jeune fille, ancienne compagne de couvent de Réjanne.

— Ma chère Renée ! s’écria, en riant, elle aussi, une autre jeune fille, qui avait nom Estelle Delherbe.

— Si Réjanne t’entendait ! fit une autre jeune fille, dont le nom était Anne Pivert.

— Ah ! bah ! fit Renée, en haussant les épaules.

— Tu sais bien que Réjanne ne t’a jamais ménagée, Renée Le Mouet ! s’écria Anne ; surtout depuis…

— Depuis que tu avais triché au concours d’histoire de France, dans notre dernière année de couvent, acheva Estelle.

— C’est de l’histoire ancienne cela ! rit Renée. Ha ha ha !

— Sans doute, sans doute !… Et cette affaire d’histoire de France (et non d’histoire ancienne), comme tu le disais tout à l’heure…

Toutes trois se mirent à rire.

— Je disais donc que c’est plutôt comique cet incident, aujourd’hui.

— Certes ! s’exclama Anne, riant jusqu’aux larmes. Je te vois encore, Renée, arrivant au concours avec tes manches de robe bourrées de feuilles et ton traité d’histoire de France.

— C’était le bon temps ! fit Renée, d’un ton qui les amusa toutes trois.

— Mais, Réjanne a mis beaucoup de temps à oublier cette affaire de concours, je crois ? dit Anne.

— Bien sûr ! répondit Renée. Elle ne m’invitait ni à ses soirées, ni à ses réceptions. Pauvre Réjanne !

— « Pauvre Réjanne » ! dis-tu, Renée ? demanda Estelle.

— Eh ! oui, je dis : « Pauvre Réjanne » ! C’est qu’elle est si… si singulière, parfois, avec ses préjugés !… Entre nous, M. Fiermont aura besoin de se bien tenir !

— Tu dis ? s’écrièrent, en même temps Estelle et Anne.

— Je dis que M. Fiermont n’aura qu’à se bien tenir ! Si jamais Réjanne découvrait qu’il essaye à lui cacher quelque chose, quand ce ne serait rien de bien grave, elle ne se déciderait jamais à lui pardonner. Je le répète, Réjanne est la personne la plus préjugée que je connaisse… Elle appelle cette… mesquinerie de vues, ses principes. Or…

— Réjanne est charmante ! dit Estelle.

— Bien sûr ! Seulement, quand elle se met quelque chose en tête, il n’y a rien au monde pour l’en débarrasser.

— Renée, ma chère, fit Anne, avec un fin sourire, je crois que ça ne te ferait pas de mal d’avoir quelques préjugés, à l’occasion, tout comme Réjanne ; cela t’empêcherait de discuter notre amie, sous son propre toit…

— Ou dans son propre jardin ! ajouta Renée, et toutes trois, parce qu’elles étaient très jeunes et très gaies, partirent d’un franc éclat de rire.

Les invités continuaient à arriver, et à quatre heures, vint Paul, accompagné de deux messieurs ; tous trois s’avancèrent vers Réjanne.

— Oh ! fit la jeune fille en les apercevant. Vous êtes les très bienvenus, Messieurs, ajouta-t-elle, Paul, M. Fiermont, et vous, Notaire Schrybe !